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le budget le permettra. Actuellement la principauté pourrait appeler, dit-on 60,000 hommes sous les drapeaux en cas de guerre, non compris les volontaires.

On a dit que pour Napoléon III, la liberté était un article d’exportation. Ceci a été bien plus vrai pour la Russie, quand elle a doté la Bulgarie de l’une des constitutions les plus libres et les plus démocratiques qu’il y ait en Europe. C’est à peu près la constitution belge mais avec le suffrage universel et sans seconde chambre. Les libertés les plus larges sont garanties. La presse est libre sans cautionnement ni censure. Droit de réunion sans arme et droit d’association. Les tribunaux seuls prononcent des peines, même en matière de presse, et jugent les contestations civiles. Plus de confiscation. La propriété et le secret des lettres sont inviolable. Toute loi, tout impôt doivent être votés par l’assemblée nationale. L’enseignement est obligatoire et gratuit. L’assemblée nationale se compose de représentans élus au suffrage direct pour trois années, dans la proportion d’un député par 10,000 habitans. Tout citoyen est électeur à l’âge de vingt ans et éligible à trente ans, s’il sait lire et écrire. L’assemblée a le droit d’initiative et d’amendement. Le budget doit être présenté et voté chaque année. La session ordinaire dure du 15 octobre au 15 décembre, mais elle peut être prolongée avec le consentement de prince et de l’assemblée. La constitution ne peut être modifiée que du consentement de la grande assemblée nationale, composée d’un nombre double de députes et de la majorité des deux tiers des voix des membres présens. Le prince a les droits habituels d’un souverain constitutionnel : il ne peut agir que par l’intermédiaire des ministres responsables qu’il nomme, qu’il révoque et qui ont le droit et le devoir d’assister aux séances de l’assemblée. Comment la Russie a-t-elle fait voter à Tirnovo, en 1879, une constitution donnant aux Bulgares tant de droits dont aucun n’est accordé aux Russes, ce qui est certes très peu flatteur pour ceux-ci ? On peut y voir la preuve d’un grand désintéressement, car la Bulgarie sera peu disposée à échanger ses libertés pour le régime despotique qui règne dans l’empire moscovite. D’autres, les malveillans, supposeront qu’elle a voulu, en partant. laissera la nouvelle principauté une boite de Pandore, d’où devaient sortir tant de maux qu’elle serait bientôt rappelée pour y porter remède.

Et c’est bien en effet ce qui a failli arriver. Mais par la faute de qui de la constitution, du prince ou de ses sujets ? Les premières élections amenèrent, à deux reprises, une majorité libérale et démocratique. Celle-ci, quoi qu’on ait dit, ne se montra nullement ingouvernable ; mais elle était défiante, portée à l’économie et