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s’écouler. L’on n’a pu découvrir aucune preuve certaine qu’une nièce nouvelle ait été représentée pendant ce temps. Dès longtemps on s’est étonné de ce silence prolongé. J’ai dit quel parti les baconiens ont voulu en tirer.

S’il s’agissait d’un autre homme que Shakspeare, on serait moins surpris de le voir prendre du repos. Mais sa fécondité fut telle que L’on s’étonnera toujours de la voir subitement interrompue. Cependant malgré tout, il était un homme : après trente ans du travail physique et intellectuel le plus effroyable, il a pu se trouver épuisé, peut-être malade ; il a bien pu être tenté de ces loisirs, de cette retraite honorable, acquise au prix de tant de soins. Le désir de cette retraite avait rempli sa vie d’homme et constamment soutenu son courage et excité son génie. J’en demeure convaincu. En se retirant à Stratford, il accomplissait donc un vœu ancien et cher à son cœur. Rien ne nous prouve, d’ailleurs, qu’il voulût tout à fait renoncer au théâtre ; nous n’avons aucun moyen de savoir quels étaient ses desseins au moment où la fièvre native, sortie des bas-fonds de l’Avon, est venue le prendre pour mourir.

Il y a donc bien des façons d’expliquer le silence de Shakspeare pendant les dernières années de sa vie. Il semble, d’ailleurs, que ce silence ne fut pas si long qu’on l’a cru. Il y a six pièces toutes authentiques, au moins en partie, toutes insérées a in-folio de 1623 et dont la place chronologique, dans la vie de Shakspeare, n’a pu être établie[1]. Quelques-unes peuvent appartenir aux dernières années de sa vie. Une au moins y appartient très probablement c’est Henry VIII. Les principaux critiques sont d’accord à ce sujet. La période de quatre ans et demi est donc déjà diminuée.

D’ailleurs, la retraite à Stratford ne dut pas être définitive avant 1613 En 1612, Shakspeare y avait été appelé pour un procès au sujet des dîmes. Mais il fut encore à Londres l’année suivante, où il achetait sa maison de Black-Friars. Peu après, il revenait à Stratford où sa famille était émue par un grave procès : sa fille Susanna ayant été faussement accusée d’adultère avec un certain Ralph Smith, le docteur Hall poursuivit les calomniateurs devant la cour ecclésiastique, à Worcester, et les fit condamner à L’excommunication. L’avocat Whatcot, ami personnel de Shakspeare, plaidait pour le docteur Hall.

En 1614, nous voyons Shakspeare intéressé à des affaires municipales assez obscures au sujet des biens communaux. Il semble qu’il fût en dissentiment avec la corporation de la ville, qui lui adressa une lettre de représentations. Les actes où il est question

  1. Henry VIII, Tout est bien qui finit bien, Timon d’Athènes, la Méchante Femme domptée, Jules César, Coriolan.