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et mystérieux spectacles, ces costumes aux couleurs éclatantes, ces actions violentes ou grotesques, ces masques bizarres dont s’affublaient les acteurs !

Il vit sans doute, comme Willis, quelqu’une de ces allégories dramatiques que le goût français avait mises à la mode dès le XVe siècle et dont les personnages, bien vivans aux imaginations symboliques du moyen âge, s’appelaient Luxure, Orgueil, Avarice. C’étaient de rudes moralités (morals), où le bien triomphait du mal par des artifices compliqués et naïfs à la fois, où les auteurs sacrés et profanes mêlaient leurs préceptes en la plus parfaite confusion. Mais l’enfant dut voir aussi des Mystères, car jusqu’en 1580, la représentation en était encore fréquente et populaire. L’église les avait encouragés, car elle y trouvait de puissans secours pour pénétrer les esprits, par les yeux, de la réalité des histoires sacrées. Le peuple les aimait, par un goût naturel des spectacles et des drames, par un sentiment de foi très primitif, avide de représentations sensibles. Des foules immenses accouraient de toute l’Angleterre centrale à Coventry, où les Mystères se célébraient avec une pompe et un luxe extraordinaires. Mais les acteurs de Coventry transportaient aussi, par les villes et les bourgs, leur énorme chariot dramatique, s’arrêtant partout où la piété et la curiosité populaires leur promettaient une recette acceptable. Là, ils disposaient le chariot, découvrant une assez vaste scène à deux étages, dont le plus haut seul était ouvert : le bas servait aux machines.

Il y avait des praticables, des trucs et des trappes, des apparitions venant du ciel et des disparitions dans les enfers ; parfois des accessoires aussi compliqués que des navires, des nuages, des chars. Le théâtre était garni de tentures et de tapisseries, dont les dessins désignaient le lieu de la scène. Il y avait des accessoires permanens et populaires, tels que la gueule de l’enfer : c’était une tête colossale, avec des yeux lumineux et un nez énorme et très rouge. La bouche était munie de deux rangs de dents aiguës ; les mâchoires s’agitaient et l’on apercevait des flammes au fond de la gorge. Par cette gueule flamboyante on voyait passer les têtes noires des âmes damnées, leurs corps bariolés de jaune et de noir. Parfois le Christ venait en saisir quelqu’une et la tirer à lui, à travers l’horrible mâchoire du monstre. Ainsi était représentée la Rédemption. Les costumes ne variaient guère et étaient composés suivant une constante tradition. Pilate portait un manteau vert ; Adam et Eve avaient des vêtemens de cuir, afin de paraître nus ; Hérode, dont l’apparition sur la scène causait toujours la plus vive impression, avait des gants rouges, un costume multicolore, et, brandissant un sabre, se démenait comme un possédé. Tout ce matériel