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contre lui le souvenir de son passé et la crainte de le voir retomber dans des excès qui avaient en un regrettable retentissement. Le seul parmi les chefs qui pût lui porter ombrage était David Kalakaua, jeune noble, de moindre rang, mais bien vu et estimé de tous, et dont la vie régulière contrastait avec celle du prince William.

Aucune loi n’excluait les femmes du trône. La reine Emma pouvait donc être élue. cf. son inépuisable charité, sa vie exemplaire, lui auraient rallié les suffrages, si elle avait consenti à se mettre sur les rangs ; mais ce nouveau deuil qui la frappait ravivait ses douleurs passées. Elle déclara qu’elle n’acceptait aucune candidature et invita ses partisans à voter en faveur du prince William. Le choix était donc circonscrit entre ce dernier et David Kalakaua. Le 8 janvier 1873, William Lunalilo fut élu à l’unanimité moins 3 voix.

Je l’avais beaucoup connu alors qu’il siégeait à la chambre des nobles. A une beauté physique remarquable il joignait une intelligence active, éveillée, beaucoup de dignité. Prodigue comme un grand seigneur, adoré de ses inférieurs, il gâtait tous ses dons naturels par son penchant à l’ivrognerie, domine Kaméhaméha IV, il luttait vainement pour s’en rendre maître ; pendant des mois entiers il étonnait par son absolue sobriété ceux qui l’approchaient, jusqu’au jour où le prétexta le plus futile, le hasard d’une rencontre ou d’une réception, l’amenaient à goûter un verre de Champagne ou d’eau-de-vie. Alors commençait l’orgie furieuse dont il sortait brisé ; quelques jours de repos suffisaient à sa merveilleuse constitution pour en effacer toutes traces apparentes.

Elevé par les missionnaires américains, il avait reçu d’eux une éducation soignée, des convictions religieuses et des idées libérales avancées qui faisaient de lui, dans le parlement, un chef d’opposition éloquent et redoutable, et, parmi les nobles, l’unique adversaire du régime monarchique et le seul partisan des institutions républicaines. On n’avait d’abord vu dans son attitude politique que le désir de se singulariser et de faire au roi, son cousin, une opposition peu dangereuse, à tout prendre. Il n’en était rien. Avec la naissance et les qualités extérieures d’un chef et d’un prince, il avait les instincts et les goûts d’un radical. Elu roi, il apportait sur le trône ces contradictions et, dès le début, il s’en expliquait franchement, discutant lui-même sa raison d’être et tout prêt à mettre en doute sa propre autorité. Il n’était pas marié ; invité par le parlement à désigner son successeur pour le cas où il mourrait sans héritier, il s’y refusa nettement, alléguant que, n’étant pas convaincu de l’excellence de la forme monarchique, il ne se reconnaissait pas le droit de désigner un roi ; il laissait donc à ses sujets, lui mort, et même