esprit ce pénible dilemme : « Tu me trouves bien froide ? dit la grand’mère à sa petite-fille qui l’écoute. Mais, réfléchis : Willy demeurait si loin ! Maintenant, il est tout près ; comment veux-tu que je pleure pour Willy ? Il est parti pour une heure, pour une minute ! .. Moi aussi, dans une minute je partirai… Est-ce que j’ai le temps de m’affliger ? » Comme toujours, chez lord Tennyson, la conclusion console et rassérène. Un souffle chrétien chasse le doute, comme un brouillard d’été, et découvre le ciel.
Enoch Arden nous conduit au milieu de l’Angleterre d’il y a cent ans. Nous sommes dans un petit village maritime, au fond d’une anse obscure. Trois enfans courent sur le sable : la jolie petite Annie, Philippe Ray, le fils du riche meunier, Enoch Arden, le petit pêcheur. On joue au ménage : Annie est tour à tour la « petite femme » de Philippe et celle d’Enoch. Quand les garçons se disputent, Annie les met d’accord en disant : Je serai votre « petite femme » à tous deux. Et ce mot contient en germe le drame qui va suivre. Tous trois grandissent : les deux jeunes gens aiment la jeune fille. Annie est plus douce et plus familière avec Philippe ; pourtant c’est à Enoch qu’elle a donné son cœur. Un soir, « un soir doré d’automne, » ils sont assis l’un près de l’autre sur le haut de la colline, au-dessus du bois de noisetiers. Enoch a parlé, Annie s’est promise. Philippe a tout deviné ; il n’a eu qu’à jeter un regard sur ces yeux clairs, « sur cette large figure brune, où l’amour brûle comme une pure flamme sur un autel. » Il emporte « sa vie blessée dans le creux des bois ; » et là, inaperçu de tous, il a « son heure sombre. »
Il y a sept ans qu’Annie est la femme d’Enoch. Trois enfans sont venus l’un après l’autre, le dernier chétif et souffrant. Pour les faire plus riches, Enoch imagine de s’engager comme timonier sur un navire qui va en Chine. Annie essaie de le dissuader, mais la résolution d’Enoch est prise. Il vend son bateau, et, avec le produit, monte une petite boutique qui fera vivre Annie et les enfans pendant son absence. Tout le jour, il charpente, scie, cloue, ajuste les rayons, dispose les marchandises. Annie écoute ce bruit : il lui semble qu’on dresse son propre échafaud. Cependant, l’heure de l’adieu est venue. Le pauvre petit enfant malade a une des dernières pensées d’Enoch. Ne sont-ce pas ceux-là qu’on aime le plus ? « Garde-moi le foyer propre et le feu clair, dit-il à sa femme, car je reviendrai, je reviendrai avant que tu le saches seulement. Ne crains point, ou, si tu crains, mets tes craintes aux pieds de Dieu. Il est le maitre de la mer, puisque c’est lui qui l’a faite. »
Enoch est parti. Annie est triste ; sa boutique ne prospère pas. Elle ne sait ni tricher ni surfaire ; elle ignore les roueries du petit commerce. L’enfant infirme, après avoir longtemps langui, s’éteint