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sont toujours fixés. D’un autre côté, la Grèce s’enflamme à son tour, comme si elle était en danger ou comme si elle voyait luire l’occasion favorable de conquêtes nouvelles. La Grèce mobilise son armée, prépare ses réserves, cherche de l’argent et est impatiente de courir, elle aussi, aux frontières. La Grèce se souvient avec amertume de n’avoir pu obtenir du côté de l’Épire tout ce que le congrès de Berlin lui avait laissé espérer, et elle se flatte de saisir cette fois quelque province, quelque fragment de territoire de plus ; elle est entraînée comme la Serbie. La passion populaire règne dans ces petits pays, et les gouvernemens suivent le mouvement, craignant toujours d’être renversés s’ils résistent, s’ils osent écouter un conseil de sagesse. Le prétexte invariable de ces agitations nouvelles, c’est que, si l’équilibre doit être rompu dans les Balkans au profit de la Bulgarie, la Serbie et la Grèce ont droit aussi à un agrandissement dont la Turquie est toujours appelée naturellement à payer les frais. Ces malheureux états ne voient pas qu’ils cèdent naïvement à une égoïste jalousie de race peu faite pour relever leur cause et qu’ils choisissent d’ailleurs assez mal leur moment pour occuper, pour troubler l’Europe de leurs affaires. Quelque indécise qu’elle paraisse, l’Europe n’est sûrement pas disposée à se laisser entraîner dans des aventures où revivraient aussitôt les plus redoutables antagonismes. L’Allemagne, la Russie, l’Autriche, peuvent éprouver quelque difficulté à se mettre d’accord sur le système d’action diplomatique qu’elles suivront de concert avec les autres puissances ; elles tiennent dans tous les cas à sauvegarder les conditions essentielles du traité de Berlin, et il est bien clair que personne n’est d’humeur à risquer une guerre pour la Bulgarie, pour la Serbie ou pour la Grèce.

Ce qui reste donc de plus probable, c’est que l’Europe fera ce qu’elle pourra pour ramener à la raison et à la paix ces jeunes états si impatiens d’aventures, pour leur ôter tout prétexte de récriminations ou de revendications en réduisant la révolution bulgare aux proportions les plus simples. Elle ne cherchera peut-être pas à abolir tout ce qui s’est fait à Philippopoli ; elle ne refusera pas sans doute de ratifier une sorte d’union personnelle au profit du prince Alexandre de Battenberg, en maintenant la Bulgarie et la Roumélie dans des conditions assez distinctes, en laissant toute sa force à la suzeraineté du sultan. C’est là du moins la combinaison qui semble rallier les chancelleries préoccupées de contenir le feu, d’éviter la crise décisive. Ce ne sera encore, si l’on veut, qu’un expédient peu sérieux, une trêve sans avenir, c’est possible. Il y a longtemps que la question d’Orient se traîne à travers les trêves et les expédiens.

CH. DE MAZADE.