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l’auteur, avec ses Héros, dans un nuage de symbolisme. Volontiers nous répéterions le jugement de Merlin sur Arthur :


Front overfineness unintelligible.


Faisons cependant un effort ; habituons-nous à vivre un moment entre l’allégorie et la réalité, avec ces êtres doubles qui sont tour à tour des héros de roman et des emblèmes philosophiques. C’est dans cet esprit qu’il faut franchir la merveilleuse porte de Caërléon, dont chaque sculpture est une énigme, et pénétrer dans cette grande salle où Arthur tantôt disserte et tantôt festoie avec ses chevaliers.

Sa naissance est un mystère. D’origine divine, suivant les uns, il n’est même pas, suivant les autres, l’enfant de son père. Longtemps combattu, il s’est fait accepter par ses bienfaits et par ses hauts faits. Il a formé le projet de rendre au bien ce monde que le mal a envahi. Et comment ? Par l’ascendant de l’exemple et par la force de l’épée. Il veut « toutes les femmes pures, tous les hommes loyaux et sincères. » Lorsqu’il fonde sa Table-Ronde, voici l’idéal qu’il propose à ses chevaliers : « Abattre l’idolâtrie, soutenir le Christ ; chevaucher partout en redressant les torts ; ne jamais dire, ne jamais écouter la calomnie, mener une vie chaste, aimer une vierge, et n’en aimer qu’une ; » car c’est cet amour « qui inspire les grandes pensées et les douces paroles : de lui découlent courtoisie, passion de la gloire, amour de la vérité, et tout ce qui fait l’homme. » Les instrumens de cette grande œuvre seront, avec Arthur, sa compagne, sa reine, la belle Guinèvre, puis ses chevaliers, Lancelot, Tristan, Gérain, Parsival, Galahad, Pelleas, Bedivir, Gavain, Modred, apôtres armés de ce messie en cuirasse. Merlin représente la science humaine, et la met au service du pieux roi. Un délire d’optimisme transporte les âmes : une ère nouvelle commence pour le monde.

A quelle déception aboutit ce beau rêve ? Qu’advient-il de cette vertueuse troupe et de son chef ? Ceux qui sont réellement purs, le ciel les reprend à la terre ; les passions humaines revendiquent ceux en qui le mal l’emporte sur le bien. Galahad se perd dans l’extase, Parsival échange sa cette de mailles contre un froc ; Gérain s’épuise en soupçons jaloux ; Pelleas consume sa jeunesse aux pieds d’une idole sans pitié ; Lancelot et Tristan aiment la femme d’un autre, Gavain aime toutes les femmes, et Modred, le Judas de la Table-Ronde, conspire dans l’ombre la perte de son maître.

Merlin a succombé, lui aussi. La séduction du vieillard est la page la plus hardie des Idylles. Ce grand sujet n’a été traité jusqu’ici qu’en farce grossière ou en photographie libidineuse. Goethe, avant de jeter Marguerite dans les bras de Faust, rend la jeunesse