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l’on puisse entrevoir qu’elles s’y étendront dans un avenir plus ou moins rapproché, la lieue, qui valait il y a quatre ou cinq ans, 30,000 francs, en vaut aujourd’hui de 150 à 200,000. Les futurs colons devront payer plus de 100 francs l’hectare les concessions que les particuliers se proposent de leur vendre.

Si l’on sort de ces zones et que l’on pénètre dans les autres provinces de la république sur la limite de la pampa et le long des contreforts des Andes, sauf autour des villes ou dans les vallées artificiellement irriguées, et dans les régions propres à la culture de la canne à sucre, la terre se vend journellement depuis 15,000 francs jusqu’au prix infime de 500 francs la lieue.

Au-delà de ces régions, au sud et au nord, aux confins de la république, s’étendent de vastes territoires sur lesquels aucun des états confédérés ne peut réclamer de droits et dont la vente appartient à l’autorité fédérale. C’est là que l’on pourra expérimenter les meilleurs systèmes de colonisation et d’appropriation des terres publiques. Le champ de ces expériences futures ouvert aux générations du siècle prochain est vaste; il comprend, au sud, les 25,000 lieues de pampas, les 20,000 lieues du territoire patagonien avec un développement de 2,000 kilomètres de côtes sur l’Océan-Atlantique, régions aujourd’hui absolument désertes, mais accessibles au travail civilisateur, et s’étendant du 35e degré au 55e degré de latitude sud, entrecoupées de fleuves qui courent parallèlement en droite ligne des Andes à la mer ; enfin au nord de la république, le territoire intertropical du Grand-Chaco, d’une étendue de 10,000 lieues carrées, défendu encore par les Tobas, dont le dernier crime a été la mort du savant explorateur français, le docteur Crevaux, et le territoire célèbre des missions, où la trace des villages abandonnés depuis le départ des jésuites disparaît chaque jour davantage sous la frondaison luxuriante des jardins redevenus forêts impénétrables.

Aucun système scientifique d’appropriation de ces terrains n’a été encore mis en pratique par l’état, possesseur de ces domaines : une seule fois, pour subvenir aux frais de l’expédition contre les Indiens, entreprise en 1877 et terminée par leur destruction complète en 1881, il en a aliéné d’un coup 5,500 lieues carrées au prix uniforme de 2,000 francs la lieue, soit 0 fr. 80 l’hectare. Cette région, qui équivaut à cinquante départemens de France, eût pu être mieux employée et distribuée. Faite dans ces conditions, l’aliénation de ces terres a plutôt fermé qu’ouvert à la population laborieuse les terres qu’elle demande ; aucune création n’y a encore été tentée, le paysan redoute le voisinage des grands feudataires qui se sont découpé des fiefs de 100 lieues carrées dans ces déserts; faute d’autre emploi, ces terres ont fourni un aliment puissant à la spéculation. Elle seule s’en est emparée et s’en occupe; des acheteurs qui ne les