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de laine alternant avec le poncho, qui ne permet pas le travail à pied, et enfin les braies de nos ancêtres, déguisées sous le nom indien de chiripa. Aux jours de fête, les costumes nationaux reparaissent volontiers : Andalouses, Catalanes, Napolitaines, Basquaises, Suissesses ou Bretonnes même se coudoient élégamment, vêtues à la mode de leurs provinces.

Mais là, comme partout sur le sol américain, ces diversités d’origines disparaissent à la première génération. En même temps que la loi impose la nationalité locale à ceux qui sont nés sur son sol et que le sang étranger entre ainsi avec des droits égaux, de quelque source qu’il provienne, dans les veines de la nation, les coutumes importées deviennent nationales.

Ces phénomènes ne sont pas spéciaux à tel ou tel groupe. Ils se produisent dans toutes les régions où il existe des colonies, dans les deux groupes de la province de Santa-Fé, celui qui s’appuie sur la rive du Parana et celle du Salado, celui qui s’est créé le long de la voie ferrée du Grand central Argentin et où rien d’anglais n’apparaît ; dans la province d’Entrerios, où cependant le général Urquiza, usant de ses pouvoirs de président, avait promulgué une loi nationale dispensant les fils de ses colons du service militaire et leur conservant par exception la nationalité de leurs pères : la loi n’a pas été exécutée ; ces colons attachés au sol n’ont fait entendre que de faibles protestations, en même temps qu’ils évitaient avec soin le service militaire dans la patrie de leurs pères, que celle-ci, du reste, omet de leur réclamer.

A côté de ces deux provinces, on ne compte que deux créations du même ordre : l’une remontant à 1860, composée exclusivement d’Anglais du pays de Galles, établis par le gouvernement sur la rive du Chubut, fleuve du désert patagonien, dont le sort a prouvé pendant vingt ans qu’elle était prématurée, et qui se débat sous les étreintes de disettes intermittentes tempérées par les secours officiels.

L’autre, créée par l’état de Buenos-Aires, est plus intéressante : c’est une colonie d’Allemands de la secte des mennonites. Ils avaient émigré en Russie à la fin du dernier siècle ; Catherine leur avait garanti pour un siècle leur autonomie et la dispense de tout service militaire, que leur religion interdit. Le siècle écoulé, le traité n’a pas été renouvelé ; trois mille adeptes ont obtenu du gouvernement de la province de Buenos-Aires des terres et des franchises ; ils n’échapperont pas plus que les autres à la manucapion de l’atmosphère américaine. En attendant, ils donnent dans la plaine l’exemple du travail intelligent et prospèrent si bien qu’après avoir, en trois ans, mis en culture toutes leurs terres et élevé trois villages,