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de travail, que ses produits n’en sont pas pour cela moindres, et qu’il peut consacrer les longues soirées lumineuses de l’été ou les nuits d’hiver à des travaux de l’esprit, ces conseillers du progrès. Ainsi en est-il cependant ! A l’automne, il prépare sa terre, c’est là le travail le plus important, qu’il doit faire lui-même, le seul que les machines n’aient pas simplifié; mais la nature du sol le rend facile, et sa fertilité le réduit à deux coups de charrue et un hersage, sans autre préparation ni fumure coûteuse et pénible. Deux mois suffisent à cette besogne et à celle des semailles. L’hiver, fort doux dans ces régions, sans neige et sans gelée, est tout entier pour lui une saison de contemplation ; l’uniformité de sa culture laisse au colon tout le temps de s’occuper de son jardin d’agrément, des soins minutieux de son verger, et du bétail de la ferme. Au printemps, la nature travaille pour lui ; l’agriculteur attend les résultats de cette incubation que les pluies ou la sécheresse rendront stérile ou féconde, sans qu’il y puisse rien changer; il n’a pas même à faire provision de fourrages pour l’hiver; son bétail, élevé à l’air libre, trouvera toujours à s’alimenter même pendant la mauvaise saison.

Arrive enfin l’été, ou du moins il est proche, car, au mois de novembre, qui correspond au mois de mai de l’hémisphère nord, les blés sont jaunes et les faucheuses peuvent mettre en ligne leurs couteaux aiguisés. On croirait que le bruissement des épis mûrs va arracher le colon à sa vie douce. Il en était ainsi autrefois, au temps où l’on ne connaissait que la faux et la faucille pour couper les longues files d’épis secs, sous le chaud soleil; alors même, faute de bras, il fallait quelquefois laisser debout ou abandonner au bétail les récoltes debout ; aujourd’hui, il n’en est plus ainsi ; le colon, qui ne peut seul faire les frais d’achat de faucheuses modernes, traite simplement avec un des nombreux entrepreneurs de moissons qui sillonnent la campagne et qui, à forfait, à prix fixé d’avance, de tant de sacs pour cent, fauche, bat sur place, met en sacs et souvent achète et emporte en une semaine la récolte qui, hier debout, agitait ses épis dorés sous le souffle du vent, et aujourd’hui se résume en un chèque payable à vue et endossable. Il a fallu quelques jours au plus, à raison de 8 hectares par faucheuse et par jour, pour opérer cette transformation commerciale de toutes les espérances du colon résumées dans un vaste champ de blé ; il sait au juste ce que vaut le travail de son année, et, jusqu’à l’automne, est libre de soucis ; les autres récoltes qu’il a préparées ne lui donneront pas grand embarras et ne l’empêcheront pas de déguster, à l’ombre, les pêches de son jardin.

Que l’on ne dise pas que le labeur n’est que déplacé, et que si