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L’étendue ensemencée augmente avec une telle rapidité que, partout, la demande de travailleurs est abondante. En 1883, il eût fallu pour récolter les blés mûrs plus de 160,000 moissonneurs, dans cette région qui ne compte guère plus de 60,000 habitans pour la partie cultivée et 200,000 pour toute la province. Le déficit des bras a été comblé par une importation exceptionnelle de machines perfectionnées, s’élevant pour cette seule année au chiffre de 8,889, d’une valeur de 7 millions de francs, venant s’ajouter à l’important matériel existant déjà. Notons, en passant, que bien que les huit dixièmes de ces colons agriculteurs parlent français, la France ne participe en rien à ces fournitures ; 10 pour 100 des machines agricoles proviennent des États-Unis et 90 pour 100 d’Angleterre, bien qu’il n’y ait dans toute la province ni un colon anglais, ni un colon nord-américain. On a vu pour la première fois une batteuse de l’usine de Vierzon figurer à l’exposition continentale de Buenos-Aires de 1881 ; elle a obtenu naturellement le premier prix ; achetée et mise en mouvement à l’heure de la moisson, elle a prouvé à tous sa supériorité ; mais l’audace commerciale des négocians français s’est bornée à cette démonstration, et les Anglais ont continué, comme devant, à fournir, sans concurrens, des machines moins parfaites.

Pourrait-on cependant avoir quelque doute sur la sûreté du paiement? Ne méritent-ils pas quelque crédit ces agriculteurs dont nous venons de rappeler le nombre, qui ont mis en culture, en 1883, 336,000 hectares et produit 2,250,000 hectolitres de blé, 21,000 tonnes de grains de lin, recueillant plus de 20 millions de francs de bénéfices nets, tous débours couverts de semailles, récoltes, subsistance et salaires, ce qui donne à la fin de l’année, tous frais payés, une augmentation de richesse de 300 francs par habitant, à ajouter à la plus-value progressive de toutes les propriétés, anciennement ou récemment cultivées, et même des terres voisines qui voient leur heure se rapprocher? Cette production représente un mouvement commercial de près de 50 millions de francs, et laisse disponible pour l’exportation, après avoir satisfait la consommation de toute la république argentine, plus de 1 million d’hectolitres de blé dont le prix de revient ne dépasse pas 10 fr. 50.

Cette quantité, minime, si on la compare aux productions d’autres pays, est fort importante si on la considère comme elle doit être considérée, c’est-à-dire comme un point de départ, si l’on fait attention à l’accroissement annuel de la surface cultivée, des capitaux nouveaux employés progressivement au développement de la culture. Ce n’est pas sans raison que tous ceux qui assistent à cette conquête ardente du sol de cette province, hommes d’état, publicistes,