Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/868

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’œuvre manquée de Mendoza, fonda la ville de Santa-Fé sur les rives du Parana, quelques grains de blé, égarés dans la provision de riz, furent recueillis et semés, par un de ses compagnons, sur cette terre d’alluvions préhistoriques, où toute culture avait été jusque-là inconnue. Humboldt prétend que cette aventure s’est produite à Mexico, que les grains de blé étaient au nombre de trois, et qu’ils furent sauvés par un nègre. Il nous semble avoir lu ailleurs que c’est à Quito que ce fait fut noté et que les grains de blé y furent recueillis par un moine franciscain natif de Gand, au service de l’Espagne, dont l’histoire a gardé le nom : Fray Jodocco Ricci de Gante. On serait tenté de ne voir dans ces récits différens de la même aventure qu’une preuve multiple de l’indifférence des chefs d’expédition du XVIe siècle pour toute préoccupation agricole. Tout bon Américain y voit autre chose : avide qu’il est toujours de démontrer qu’il ne doit rien qu’à son esprit ingénieux, il retient la légende et la défend si bien qu’il n’est aujourd’hui douteux pour personne, sur ce continent, que ces quelques grains de blé, qu’ils aient été sauvés par un nègre, par un matelot espagnol ou par un franciscain de Gand, sont les seuls ancêtres de tous les blés américains, et, qu’en cela comme en tout, l’Amérique ne doit rien qu’à elle-même.

Cette origine lointaine et ces commencemens modestes de la culture dans ces régions inspirent la curiosité de rechercher quels instrumens aratoires pouvaient bien avoir apportés avec eux ces colons qui avaient oublié le blé et n’avaient embarqué que de la farine. On chercherait vainement leur description dans les chroniques, celles-ci n’en font pas mention, et l’on conclut à cette hypothèse qu’ils n’en apportèrent aucun. L’esprit américain ne fut pas pour cela pris au dépourvu ; sous la pression de la nécessité, il réinventa, au siècle de la renaissance, sur ce continent nouveau, la houe et la charrue préhistoriques de l’homme des cavernes. D’une omoplate fixée par des lanières de cuir à un manche de bambou on fit une houe, et d’un pieu taillé en pointe, soutenu par deux portans, une charrue. Ce sont bien là les premiers outils d’un monde nouveau qui ne veut rien devoir à l’ancien. Est-ce parce que c’étaient là des inventions nationales qu’elles se sont perpétuées? Toujours est-il que la houe ainsi faite, la charrue ainsi construite, ont survécu à bien des générations de colons et qu’après trois siècles il nous a été possible encore de les entrevoir aux confins du pays cultivé, où les traditions de la vie primitive se retrouvent cristallisées.

La semence recueillie, la charrue construite, il fallait encore, pour que l’agriculture fût implantée, que le colon se courbât sur ces instrumens imparfaits; mais il n’avait pas émigré pour cette besogne