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il ne tardait pas à se trouver en face de l’ennemi. Grant a raconté plus tard que jamais il n’avait éprouvé une émotion aussi forte que le jour de ce premier engagement. La conduite des volontaires de l’Illinois fit honneur à leur colonel.

Grant ne devait pas demeurer longtemps dans ce grade. Le gouvernement fédéral pouvait appeler sous les armes ou enrôler des centaines de mille hommes, mais il ne pouvait improviser des cadres. L’armée régulière était trop peu nombreuse pour en fournir et l’on recherchait fort les anciens officiers qui avaient reçu l’instruction militaire à West-Point, et surtout ceux qui avaient fait campagne et pouvaient conduire une opération. Aussi, dès le mois d’août, sur la recommandation du sénateur Washburne, Grant fut élevé au rang de brigadier-général et reçut le commandement des départemens de l’Illinois et du Missouri. Il commença par occuper fortement la ville de Cairo, au confluent du Mississipi et de l’Ohio ; puis, par un coup de main hardi, il se saisit de l’importante position de Paducah, au confluent de l’Ohio et du Tennessee, et ferma ainsi aux confédérés l’entrée du Kentucky, dont l’occupation leur aurait permis de menacer Washington à l’ouest, comme ils le menaçaient déjà au sud. Le premier engagement où il commanda en chef fut une démonstration qu’il fut chargé de faire dans la direction de Columbus; il dut y payer de sa personne, ainsi que les officiers supérieurs sous ses ordres. L’inexpérience militaire était égale des deux côtés ; on se battait avec bravoure et même avec acharnement, mais sans aucune tactique : le nombre des hommes mis hors de combat était toujours considérable, et l’avantage demeurait au plus obstiné. L’issue indécise de ce combat de Belmont démontra à Grant ce qui manquait à ses troupes ; profitant de ce que les confédérés se tenaient sur la défensive, dans la vallée du Mississipi, il employa quelques mois à instruire ses soldats et à organiser une flottille de canonnières, dont le concours était indispensable dans une région traversée par de grands cours d’eau. Les confédérés se maintenaient dans l’état de Tennessee, où ils occupaient deux points importans : le fort Henry, sur la rivière Tennessee, et le fort Donelson, sur le Cumberland, autre affluent non moins considérable de l’Ohio. Grant proposa au général en chef de leur enlever ces deux positions. Le fort Henry fut pris le 4 février 1862 ; de là, malgré la rigueur de la saison, Grant marcha droit sur le fort Donelson, tandis que la flottille remontait le Cumberland pour l’appuyer. Il fit camper ses troupes sur la terre gelée, sans feu et presque sans abri. Après deux jours de combat, les confédérés furent refoulés sous les murs de la place, qui fut investie ; la lutte recommença et dura tout le troisième jour : le soir, par un effort suprême, deux des généraux confédérés réussirent à se frayer