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rejoindre en Angleterre. Le tsar répondit à cette demande avec sa générosité accoutumée. Non-seulement une frégate russe fut mise à la disposition des princesses pour les conduire à leur destination, mais encore les pensions et traitemens de la maison royale furent maintenus en entier.

Dans les premiers jours de septembre 1808, les divers membres de la famille de Bourbon étaient réunis au château d’Hartwell, où le roi avait été autorisé à résider, après avoir pris toutefois l’engagement de se rendre en Écosse à la première injonction qui lui serait faite à cet égard. C’est là, à quelques lieues de Londres, qu’il allait vivre jusqu’au jour où, contrairement aux prédictions de l’empereur Alexandre, il recouvrerait sa couronne. Maintenant, c’en était fait des menées et des intrigues des princes émigrés. Au moment où éclata la guerre d’Espagne, le prétendant eut une lueur d’espérance. Des députés espagnols vinrent le trouver à Wamstead-House, où il attendait la fin des pourparlers relatifs à son établissement en Angleterre et le supplier de se mettre à la tête de la résistance nationale. Ce fut le dernier projet militant dont il eut à s’occuper. Ce projet ne se réalisa pas, et nulle autre occasion analogue ne se présenta plus.

Dans le tragique éclat de l’épopée impériale, la France oubliait ses anciens rois. La modeste cour d’Hartwell, peu à peu, s’enfonçait dans l’obscure nuit où s’éteignent les races royales. C’est à peine si, en 1810, les journaux étrangers font mention, parmi d’autres nouvelles, de la mort de la reine de France, décédée le 13 novembre. Les journaux français n’en parlent pas. La France ne connaît plus ses princes. Leur souvenir ne vit plus que dans quelques cœurs fidèles qui n’osent laisser entendre leurs soupirs ni manifester leurs regrets. Il semble que c’en est fini de la glorieuse descendance d’Henri IV. Mais il devait en être du principe de la légitimité qu’elle représentait comme d’une flamme qu’on croit éteinte et qui couve sous les cendres, il était destiné à renaître. Encore quelques années, en dépit du mauvais vouloir de l’Europe, il allait s’imposer à elle comme l’instrument même de sa pacification. Dans les agitations et les épreuves de son exil, Louis XVIII ne s’était montré, ni patriote clairvoyant, ni défenseur habile de ses propres droits. Réduit à l’impuissance de conspirer, il devient un autre homme. Dans son cerveau, les illusions et les rêves stériles font place aux méditations fécondes. Ses malheurs fortifient sa foi dans ses droits méconnus, le préparent à ses devoirs de roi, — devoirs que, rentré en possession de sa couronne, il saura remplir avec autant de grandeur que de fermeté.


ERNEST DAUDET.