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instrumens politiques bons à employer, entendaient, avant de laisser débarquer le comte de Lille, fixer les conditions de son séjour. En vain, le comte de La Châtre, activement secondé par le duc d’Orléans, se déployait pour vaincre cette résistance ; il la trouvait devant lui énergique et opiniâtre. Quand on sut à Londres que la Troja se montrait devant Yarmouth, M. de La Châtre activa ses démarches, mais en pure perte. L’amirauté prétendait même obliger la Troja à s’éloigner, sous prétexte qu’un bâtiment étranger ne pouvait mouiller dans les eaux anglaises. M. de La Châtre courut chez M. d’Alopeus, le représentant russe, et le supplia d’intervenir. Celui-ci allégua qu’il était sans instructions de sa cour. Ces difficultés, loin de décourager l’énergie du gentilhomme français, l’exaltèrent. Il put faire parvenir une lettre à bord de la Troja. Il exposait au roi ses démarches et l’assurait que, malgré les obstacles qu’il rencontrait, il ne renonçait pas à l’espoir d’un prompt et confortable établissement en Angleterre : « Mais, ajoutait-il, il n’y a plus rien à calculer quand on a le pied sur la brèche ; il faut que le corps y passe ou bien... Je m’arrête; je me jette aux pieds de Votre Majesté et je la supplie d’arriver, quelqu’obstacle qu’on veuille y apporter. »

Ce langage trouva Louis XVIII non moins résolu que le fidèle serviteur qui le lui tenait. Un matin de novembre, il se fit conduire avec ses compagnons, par un canot de la Troja, sur un point désert de la côte. Il y débarqua sans rencontrer personne que deux douaniers : « Je suis le roi de France, leur dit-il; je voyage sous le nom de comte de Lille ; je vais à Londres. » N’ayant pas reçu d’ordres, ils le laissèrent passer. Mais le malheureux roi n’était pas au bout de ses peines. C’est seulement en février 1808 qu’il fut autorisé à résider en Angleterre ; les conditions de son séjour ne furent mêmes définitivement fixées qu’en juin[1]. À cette date, il avait averti l’empereur Alexandre que les circonstances ne lui permettaient pas de retourner en Courlande, en sollicitant des facilités afin que la reine et la duchesse d’Angoulême pussent le

  1. Il règne beaucoup d’obscurité sur ces négociations, dont la lettre suivante, adressée le 16 décembre 1807 par lord Hawkesbury au comte de La Châtre, révèle le caractère parfois âpre et menaçant : « Monsieur, j’ai communiqué à mes collègues la lettre que j’ai reçue de vous ce matin. Mais je n’ai pas jugé à propos de la mettre sous les yeux du roi. L’intimation qu’elle contient de l’intention de M. le comte de Lille de venir à Wamstead, nonobstant la règle qui a été établie par Sa Majesté, a excité parmi nous la plus grande surprise et rend nécessaire que je ne perde pas de temps à vous informer qu’il est impossible à aucun département du gouvernement de Sa Majesté de recevoir aucune communication de vous ou de toute autre personne autorisée à cet effet par M. le comte de Lille, sur quelque sujet que ce soit, aussi longtemps que M. le comte de Lille restera dans les environs de Londres. »