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le roi de France à titre d’allié. Pour lui faire tenir un si étrange message, il avait eu recours à l’empereur de Russie.

Cette proposition tourna la tête à Louis XVIII. Il y avait donc en Europe un monarque qui consentait à se servir de l’influence que, quoique exilé, le chef des Bourbons tirait de ses imprescriptibles droits. Il se prépara à partir pour Carlscrone, un des ports suédois sur la Baltique, où Gustave IV lui donnait rendez-vous. Mais, soudain, tout lut remis en question. L’armée russe venait de subir une sanglante défaite à Friedland, plus décisive celle-là que la défaite d’Eylau. Louis XVIII différa son départ. Toutefois il envoya à Carlscrone M. de Blacas, afin de s’informer si Gustave IV persévérait dans ses desseins. M. de Blacas quitta Mitau au mois de juillet, gagna Riga, où il s’embarqua pour Carlscrone. En arrivant dans cette ville, il y apprit une nouvelle autrement grave que les précédentes : le 8 juillet, la paix avait été signée entre Alexandre et Napoléon.

Ce mémorable événement semblait fait pour détruire les plans sans consistance du roi de Suède. La situation devenait critique pour lui. Des anciennes possessions suédoises en Allemagne il n’avait conservé que la Poméranie. A la fin de l’année précédente, une armée française était venue menacer cette province et mettre le siège devant la place forte de Stralsund, qui la défendait. Mais l’héroïque valeur du général Essen avait obligé, au mois d’avril 1807, les assiégeans abattre en retraite. Un armistice entre la Suède et la France était alors intervenu. Il durait encore, quand, en quelques semaines, se succédèrent la bataille de Friedland et la paix de Tilsitt. L’Allemagne désarmée, la Russie vaincue, la paix signée entre les puissances du Nord et la France, la prudence conseillait à Gustave IV de renoncer à la guerre. C’est le système contraire qu’il adopta. Blacas le trouva à Carlscrone, très excité, hanté par des visions, obéissant, disait-il, à des voix célestes, repris de sa vieille haine contre la révolution française, décidé à opérer une descente en Poméranie, à rompre l’armistice, à se défendre dans Stralsund, à l’exemple de son aïeul Charles XII. Il s’ouvrit de ces desseins à Blacas, en le chargeant d’aller les faire connaître à Louis XVIII. Il avait déjà formé un corps d’émigrés, mis à leur tête le duc d’Aumont, persuadé que le jour où cette petite troupe, ayant dans ses rangs le roi de France et son drapeau, se présenterait devant l’armée de Napoléon, celle-ci passerait aux Bourbons. Alors, il serait temps de se joindre à la Grande-Bretagne pour jeter ces soldats sur les côtes de France en les appuyant de Suédois et d’Anglais. Blacas ne discerna pas ce qu’un tel plan offrait d’impraticable et d’insensé. Il revint à Mitau. Gustave IV voulut qu’un de ses vaisseaux