Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/815

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui n’appartient à personne et je n’appréhenderai pas que mon malheur s’attache à ceux dont l’amitié fait ma consolation. »

Louis XVIII quitta Calmar le 23 octobre. Reconduit au navire qui l’avait amené, avec le même appareil qu’à son arrivée, il se sépara de son frère sur le port. Tandis qu’avec le duc d’Angoulême, il partait pour Riga, le comte d’Artois allait s’embarquer à Gothenbourg pour retourner en Angleterre. Mais, même avant de se séparer, les princes purent juger des inconvéniens et des effets de leur entrevue. La veille de son départ, Louis XVIII reçut par l’intermédiaire du baron de Tarrach, ministre prussien à Stockholm, une lettre de M. de Hardenberg, qui avait remplacé M. d’Haugwiz à la tête du cabinet de Berlin, adressée à M. d’Avaray et qu’il ouvrit en l’absence de ce dernier. Cette lettre lui faisait connaître que la Prusse, considérant l’entrevue de Calmar comme un acte hostile à la France, aggravé par l’approbation qu’y avait donnée le roi de Suède, jugeait « que le séjour du comte de Lille à Varsovie était incompatible avec la neutralité que Sa Majesté prussienne entendait garder. »

Au moment où Louis XVIII quittait sa retraite de Pologne, la Prusse songeait déjà à cette grave mesure dont les nouvelles reçues de Calmar et une lettre du comte de Lille au roi Frédéric-Guillaume avaient hâté l’exécution. Dès le 2 octobre, ce souverain écrivait de Potsdam au baron de Hardenberg : « J’ai rempli jusqu’au bout les devoirs de l’hospitalité. Cependant, ces éternelles réclamations sont désagréables. L’existence équivoque de mes hôtes fait désirer d’en être quitte avec honneur. On a recueilli des particuliers. S’ils quittent la Prusse pour jouer ailleurs un autre rôle, il ne convient pas qu’ils y rentrent. De même, si les craintes qu’on a se réalisent, il faut chercher le mode le plus décent de s’épargner les embarras auxquels exposerait infailliblement le séjour des princes. » M. de Hardenberg approuvait les vues du roi ; trois jours après, il lui répondait : « Le cas est pressant. La conduite des princes est désapprouvée même par les ennemis de la France. On préparera sans doute à Calmar des manifestes qui déplairont nécessairement à l’empereur Napoléon et qui ne verront le jour qu’après le retour du comte de Lille à Varsovie. Il serait trop tard pour parer le coup. Donc, il faut s’expliquer d’avance avec le comte de Lille et je vais charger de ce soin M. de Tarrach. »

L’explication ne fut pas longue. Elle se borna, de la part du diplomate prussien, à un avis verbal qui équivalait à un ordre d’expulsion et à la remise de la lettre écrite par Hardenberg à d’Avaray. Après l’avoir lue, le roi déclara « qu’elle n’exigeait pas de réponse. » Il lui restait encore la ressource de profiter des offres du roi de