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ouvrage. » C’est le morceau du tableau magique, qui a eu un si grand succès ; il est fait avec rien. »

Un écrivain qui a publié un examen approfondi des opinions musicales de Grimm lui reproche-avec raison d’être capricieux, passionné et inégal[1]. Il a rencontré moins juste lorsqu’il avance que Grimm, ennemi juré de la tragédie lyrique, hésita devant la rénovation de ce genre par Gluck, et ne l’accepta cordialement que lorsqu’il se présenta sous les auspices d’un Italien, Piccinni. M. Carlez a été conduit à ces assertions par une confusion semblable à celle qui avait déjà égaré Sainte-Beuve et qui ne sera plus possible désormais grâce à la nouvelle édition de la Correspondance. La querelle des gluckistes et des piccinnistes est postérieure à l’époque où Grimm avait passé la besogne à Meister. Le premier opéra de Gluck qui ait été joué à Paris, l’Iphigénie, fut donné en avril 1773, lorsque Grimm était en route pour la Russie. Le nom du compositeur allemand ne se rencontre que deux fois sous sa plume: l’une à l’occasion d’Orphée, dont il a vu la partition et qui lui « a paru à peu près barbare; » la seconde fois, au sujet d’un opéra comique français arrangé pour le théâtre de Vienne, et mis en musique par Gluck, mais que Grimm ne connaissait que par ouï-dire. Piccinni se trouve également en dehors de la période de la Correspondance qui nous intéresse. Son Roland est de 1788. Grimm, lorsqu’il occupait encore « la chaise de paille, » n’avait entendu de lui qu’une adaptation de la Buona Figliola. Arrangée comme elle l’avait été pour la Comédie Italienne, cette pièce avait laissé notre dilettante partagé entre le ravissement où le jetait « une musique divine, » et la colère que lui inspirait la parodie du texte italien en paroles françaises. « J’ai été au supplice, écrit-il, pendant tout le temps de la représentation, et cependant je me suis rendu coupable du péché irrémissible contre le Saint-Esprit en applaudissant contre ma conscience de toutes mes forces, afin qu’il ne fût pas dit, à notre honte éternelle, qu’un chef-d’œuvre admiré sur tous les théâtres de l’Europe ait été sifflé par les sourds de Paris. »

Les relations de Grimm avec la famille Mozart trouvent naturellement leur place ici. C’est vers la fin de 1763 que le père arriva à Paris pour tirer parti des talens précoces de ses enfans. Grimm les entendit et fut dans l’enthousiasme. Il a raconté, dans la Correspondance, les merveilles dont il fut témoin. « Les vrais prodiges sont assez rares pour qu’on en parle quand on a occasion d’en voir un. Un maître de chapelle de Salzbourg, nommé Mozart, vient d’arriver ici avec deux enfans de la plus jolie figure du monde. Sa

  1. Jules Carlez, Grimm et la Musique de son temps. Caen, 1872.