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donner des leçons, comprend la nécessité d’y mettre des ménagemens. Il use même de flatteries et, selon son usage, sans goût ni délicatesse. L’écrit se termine par un morceau de bravoure dans lequel, après avoir exprimé son admiration pour le vrai talent en tout genre, « comme son plus grand bien après l’amour de la vertu, » Grimm déclare qu’il a érigé en son cœur un temple aux mortels privilégiés de la nature. Suit l’énumération des divinités qui reçoivent un culte dans ce temple du mérite. Dupré, de l’Opéra, devient le dieu de la danse et a un autel « à côté de celui de l’immortel Maurice. » Mondonville est l’Orphée de la France. Après l’Opéra, tout le personnel des Français. Les écrivains, cela va sans dire, ne sont pas oubliés, et Montesquieu trouve sa place dans ce Panthéon non loin de « ce violon immortel, » M. Pagin. Divinités subalternes au reste, et qui forment la cour d’une puissance supérieure. Il y a un autel principal au milieu du temple, et sur cet autel est assis le grand Frédéric, « ayant le gouvernail de ses états dans une main et sa flûte dans l’autre. » « Le ciel, ajoute Grimm, pour le dédommager du malheur qu’il a de régner, lui a accordé le précieux privilège, dont il est digne, de répandre ses bienfaits sur les talens qu’il a le bonheur d’admirer. » Curieuse période où le jargon philosophique déguise l’adulation du solliciteur. Grimm, évidemment, avait pensé que ce coup d’encensoir lui vaudrait une gratification. Ce n’est pas la dernière fois, du reste, que nous le verrons tendre la main, et de ce côté-là. Notre Allemand restera jusqu’au bout courtisan et quémandeur. Quant au goût et au talent, on voit qu’il avait des progrès à faire, mais il les fera.

La distribution de couronnes qu’avait faite la Lettre sur Omphale provoqua des réclamations. Il parut à ce sujet un écrit anonyme, auquel Grimm répondit dans le Mercure, s’excusant et s’expliquant d’assez bonne grâce. Rousseau, lui, entra plus sérieusement en lice contre l’anonyme, saisissant, avec son ardeur et son amertume, l’occasion de vanter la musique italienne aux dépens de la française. « Une oie grasse, disait-il, ne vole pas comme une hirondelle. » Très lié encore à cette époque avec Grimm, Rousseau lui donnait des louanges qui lui firent plus tard supprimer cet écrit de la collection de ses œuvres. Il terminait par une sorte de bienvenue adressée à l’étranger et au débutant : « Continuez, disait-il à son ami, d’aimer et de cultiver des talens qui vous sont chers et dont vous faites un bon usage, mais n’oubliez pas pourtant de jeter de temps en temps sur tout cela le coup-d’œil du sage, et de rire quelquefois de tous ces jeux d’enfans. »

L’affaire des Bouffes va nous montrer Melchior et Jean-Jacques