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certainement pas en état de faire de petits vers galans dans notre langue, sans compter qu’il n’aurait pas parlé à vingt-sept ans comme un homme qui regrette sa jeunesse. Les vrais débuts du nouveau venu sont deux lettres au Mercure sur la littérature allemande. C’est déjà de la critique et du journalisme. C’est en même temps un étranger qui, s’il demande droit de bourgeoisie chez nous, n’entend pas pour cela déguiser son origine. J’insiste sur ce point : Grimm n’a nullement honte de sa nationalité, il y appuie plutôt, rappelant qu’il n’est pas des nôtres et qu’il nous juge du dehors. Le passage suivant, tiré de la Correspondance littéraire, n’est pas le seul où il joue à la fois l’étranger et le naïf. Voltaire, selon lui, vers 1750, était loin d’avoir la renommée que méritait sa supériorité et qu’il conquit depuis à force de chefs-d’œuvre ; « je me rappellerai toute ma vie, continue Grimm, l’étonnement et la confusion d’un jeune nigaud débarquant d’Allemagne avec la plus haute admiration et le plus profond respect pour M. de Voltaire, en l’entendant traiter d’homme médiocre en tout par des gens qui parlaient en oracles, au milieu de Paris, où l’on devait apparemment mieux savoir ce qui en était qu’à Ratisbonne. Ce nigaud d’Allemagne resta longtemps convaincu qu’il aurait mieux fait de s’appliquer à faire des déductions de droit public, et que le sort ne l’avait jeté en France que pour lui faire connaître à quel excès effrayant il était sot et sans ressources. Il l’était sans doute beaucoup de juger, dans le pays des airs et des prétentions, des lumières des gens d’après le ton important qu’ils prennent; mais Dieu, qui ne veut pas la mort du pécheur, lui a fait la grâce de le retirer de cet état d’aveuglement et lui a appris à se connaître en sottise à prétention, et à réserver son suffrage pour le vrai mérite. M. de Voltaire quitta Paris peu de temps après l’arrivée du nigaud d’Allemagne, et ce fut l’époque de la justice que lui rendit sa patrie. »

Grimm, dans ses lettres au Mercure, cherche à faire connaître son pays natal ; il voudrait servir de truchement entre les deux nations. L’Allemagne n’a ni les grâces, ni le goût, mais elle a le génie, « le génie avec lequel tout se fait et auquel rien ne peut suppléer. » L’Allemagne n’a ni poètes, ni orateurs, mais la France n’a pas toujours eu des Bossuet et des Boileau, et l’Allemagne aura peut-être les siens quelque jour. Cette idée, ce pressentiment de l’avenir littéraire réservé à son pays hante l’esprit de Grimm. Il y revient à la fin de ses articles. « Depuis environ trente ans, écrit-il, l’Allemagne est devenue une volière de petits oiseaux qui n’attendent que la saison pour chanter. Peut-être ce temps glorieux pour les muses de ma patrie n’est-il pas éloigné. » Mémorable exemple de divination, car si Grimm avait déjà entendu parler de Klopstock