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non moins énergique de l’orgueil blessé lorsque le dédain de la femme eut dissipé les illusions de l’amant ; passion allant jusqu’au délire, jusqu’à mettre la vie en danger, et guérison subite lorsque le voile s’est déchiré, qu’on s’est senti dédaigné, et que la dignité personnelle a été en jeu. Voilà ce que les aveux faits à Diderot et à M me d’Épinay nous laissent reconnaître de vrai sous la charge tracée par Rousseau. Ajoutons que nous avons là un Grimm fort différent de celui qu’on se représente quelquefois, et quand nous l’entendrons analyser plus tard l’inclination qu’il ressentira pour Mme d’Épinay, nous reconnaîtrons sans trop de peine les mêmes sentimens, la fierté, la tendresse et le besoin d’idéalité en amour[1].


II.

Nous voici arrivés à l’entrée de la carrière littéraire de Grimm. Il est devenu l’un des nôtres, il va s’essayer dans notre langue et ne tardera pas à prendre une place parmi nos écrivains. Le fait est, nous l’avons vu, qu’il avait assez vite et, vraisemblablement de propos arrêté, renoncé à sa langue maternelle. M. Danzel, à la vérité, suppose qu’il envoyait des articles de critique théâtrale à une revue trimestrielle fondée par Mylius et Lessing. Les comptes-rendus approfondis des théâtres de Paris, selon le biographe de Gottsched, ne pouvaient guère provenir d’un autre que de Grimm, qui avait connu Mylius à Leipzig. Cette collaboration dans tous les cas ne dura guère et n’a pas grand intérêt[2].

Je ne range pas au nombre des premiers essais de Grimm en français une lettre en vers et en prose, adressée à Mme d’Houdetot, que M. Tourneux a accueillie sans nous dire sur quelles preuves, et qu’il m’est impossible de tenir pour authentique. Cette épître, où il est question de la Chevrette et de son théâtre, porte la date d’août 1750, alors que Grimm n’habitait Paris que depuis dix-huit mois, et n’était

  1. Lire l’entretien de Grimm avec Diderot au sujet de Mme d’Épinay, dans les Mémoires de celle-ci, édition Boiteau, t. II, p. 103 et suiv. Après quoi, et si l’on ne veut être dupe ni des uns ni des autres, il conviendra de se rappeler que les Mémoires sont une réponse aux Confessions, et que Grimm lisait nécessairement par-dessus l’épaule de son amie alors qu’elle rédigeait leur commune apologie. J’estime pourtant que, même la part faite aux besoins de la réfutation, la vraisemblance, sur la passion de Grimm pour la Fel, n’est pas du côté de la version de Rousseau.
  2. C’est dans sa biographie de Lessing que M. Danzel hasarde cette conjecture. La revue de Mylius portait un titre que je ne m’aventurerai pas à traduire : Beiträge zur Historié und Aufnahme des Theaters. Elle prit fin après quatre numéros en 1750.