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que le Traité des études de Rollin, traduit par Schwab. Je ne saurais décrire la joie avec laquelle j’ai lu ces livres. Mes yeux se sont ouverts pour la première fois et ont vu ce que c’est que la véritable science. Mon frère, en outre, en revenant dernièrement de Leipzig, m’a apporté votre Traité de l’art oratoire, que j’ai lu avec la même avidité et qui a achevé de m’ouvrir l’esprit. J’ai découvert que j’avais souvent pris pour des beautés le vernis dont quelques faux savans aiment à se parer. Toutefois, que Votre Magnificence me permette de le lui dire, j’ai trouvé, dans les deux ouvrages que je viens de nommer, une modestie exagérée. Je tiens pour sot et vil celui qui ne reconnaît pas que l’Allemagne vous doit, à vous uniquement, le développement de sa langue, de sa poésie et de son éloquence, et j’espère vivre assez pour voir l’Allemagne dépasser l’étranger dans toutes ces branches de la littérature. Et c’est au grand Gottsched qu’on le devra, car c’est par ses glorieux efforts que le bon goût a été réhabilité dans notre patrie. C’est lui qui a éperonné ses concitoyens et les a poussés à la noble imitation des anciens Grecs et Romains et des modernes Français. Mais il m’est impossible, aujourd’hui, de croire que l’Allemagne ne soit pas tout aussi avancée que les autres états. En Italie, le mauvais goût règne généralement. La France est très avancée; mais, à un Boileau, un Rollin, un Fontenelle, un Voltaire, en un mot à toutes les grandes lumières de ce pays, n’avons-nous pas notre Gottsched à opposer? Ce que l’Angleterre admire dans son Newton, son Addison, son Steele, etc., ne le vénérons-nous pas aujourd’hui dans notre immortel Gottsched? En lui tout seul nous possédons réuni tout ce qui, dans les autres pays, existe divisé. Et si la France se glorifie de sa Mme Dacier, nous pouvons nous vanter de notre Mme Gottsched !

«... L’admiration que je ressens pour Votre Magnificence a été souvent pour moi d’un grand avantage. C’est elle en particulier qui m’a valu l’intime amitié de M. de Schœnberg, le digne fils du ministre de Saxe. D’une tête excellente et d’un esprit ouvert, il a toujours trouvé son plus grand plaisir à feuilleter avec moi vos écrits. Il a fini par m’appeler le critique, parce que nous mettions tout en question et jugions tout selon notre sentiment : «Critique, me disait-il quelquefois, j’ai entendu aujourd’hui un mauvais sermon ; c’était contraire au bon goût ! »

La lettre est longue, et quelque amusante qu’elle soit par sa naïveté, je n’ose la donner tout entière. Le jeune enthousiaste envoie au maître, avec diverses productions du cru natal, des poésies de sa propre façon, une satire contre les contempteurs de la philosophie et une ode. Il s’enhardit enfin et ne cache pas que son plus ardent désir serait, possédant déjà le portrait de Gottsched en