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libre d’une ville impériale. » Et ailleurs, écrivant à Catherine : « Je suis venu au monde sans fortune. » Son père, l’un des pasteurs de la ville, était recteur ou président (superintendant) des églises luthériennes du Palatinat. Nous ne savons rien de sa famille que par quelques allusions dans ses lettres. Sa mère vivait encore en 1769, âgée de quatre-vingt-cinq ans. Il la revit à cette époque, ainsi que des frères, des neveux et des nièces, et se montra enchanté de la visite qu’il leur avait faite. La vanité pouvait y être pour quelque chose, car il avait retrouvé les siens en possession d’une position honorable dans sa ville natale. « Si Votre Altesse, disait-il à la landgrave de Hesse, passe jamais par Ratisbonne, c’est mon frère aîné qui aura l’honneur de la haranguer en bel allemand, à la tête du magistrat (c’est-à-dire du corps municipal), en lui présentant le vin d’honneur. » Il hérita même plus tard de ce côté-là.

Fils de pasteur, l’éducation de Grimm dut être soignée. Ses goûts littéraires, en tout cas, furent précoces, témoin la lettre suivante adressée à Gottsched, professeur de philosophie et de poésie à l’université de Leipzig. Grimm n’avait pas dix-huit ans lorsqu’il écrivit cette lettre et il n’avait pas encore quitté Ratisbonne.

« C’est véritablement un acte d’audace inouïe que je me permets, mais le respect inexprimable que m’inspire votre immense mérite m’a donné un tel désir de faire votre connaissance que je n’ai pu y résister plus longtemps. Il est vrai que j’aurais quelques prétextes à alléguer pour excuser ma démarche. Mon frère, qui a servi de compagnon à M. le docteur Steger dans ses voyages, qui a eu l’honneur de faire la connaissance de Votre Magnificence, et qui se trouve en ce moment à Francfort, dans la suite et comme hofmeister du baron de Schœnberg, à l’occasion de l’élection impériale, m’a chargé de rassembler pour vous et de vous envoyer les pièces ci-jointes. Je ne nierai pas, cependant, que mon principal motif ne soit de montrer à Votre Magnificence quelle vénération j’éprouve pour ses incomparables mérites. Je l’avouerai donc sans détour, je suis un jeune homme qui doit se rendre à l’université de Leipzig dans un an et demi. Outre que j’étudie ici, au gymnase, la langue latine et autres branches de la littérature, je trouve mon plus grand plaisir dans les ouvrages des moralistes, et, en général, dans les livres qui me paraissent bien écrits... Notre Ratisbonne, malheureusement, n’a pas une seule véritable boutique de libraire. C’est ainsi que je n’y ai jamais rencontré un seul des incomparables écrits de Votre Magnificence. Mais mon frère, celui dont je parlais tout à l’heure, m’a fait, il y a quelques années, et avant de partir pour ses voyages, le plaisir de me donner votre Art poétique, ainsi