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curieuses par elles-mêmes, et elles jettent du jour sur une période de la vie de l’écrivain qui était entièrement ignorée.

Les Mémoires de Mme d’Épinay, où Grimm occupe une si grande place, nous étaient connus sous une forme incomplète; le premier éditeur en avait eu entre les mains une copie défectueuse, ou s’était permis des retranchemens. De nouvelles recherches ont récemment découvert le tort qui nous avait été fait et l’ont réparé. MM. Lucien Perey et Gaston Maugras ne se sont pas contentés de consulter un second manuscrit qui se trouve pour partie aux Archives, et pour le reste à la bibliothèque de l’Arsenal ; ils se sont, en outre, mis en rapport avec les membres de la famille d’Épinay qui vivent encore, et ils ont été assez heureux pour en obtenir la communication d’un grand nombre de lettres. De ces matériaux sont sortis deux volumes, dont le premier, consacré à la jeunesse de Mme d’Épinay, renferme des morceaux qui ne le cèdent en rien aux meilleures pages des Mémoires. Le portrait de Mme de Roncherolles, ceux de Mme de Maupeou et de M. de Preux sont des chefs-d’œuvre de piquant et de grâce. Le second volume, qui nous retrace les dernières années de Mme d’Épinay, n’est pas sans quelques longueurs. Le récit de la ruine du mari et des extravagances du fils y tient trop de place. Mais ce défaut est racheté par les détails donnés sur le séjour de Mme d’Épinay à Genève, sur Voltaire, sur Grimm enfin et les voyages toujours plus fréquens auxquels l’obligeaient ses aspirations diplomatiques. Cette partie de la carrière de l’écrivain avait justement, et à l’égal de sa jeunesse, besoin d’éclaircissemens. On remarquera en particulier, dans l’ouvrage de MM. Perey et Maugras, un fait qui était resté inconnu, la disgrâce qui mit fin à la mission de Grimm comme ministre de la ville libre de Francfort à Paris, et les causes de cette destitution.

La publication de la correspondance entre Grimm et Catherine a été un événement, j’ose le dire, pour la mémoire de l’un et de l’autre. L’impératrice s’y montre avec tant d’abandon, elle y laisse si bien voir la femme à côté de la souveraine, tout ce spectacle est si nouveau, si étrange, qu’on se prend d’abord à oublier la place que Grimm occupe dans ce commerce épistolaire. Et, cependant, c’est une addition bien précieuse aussi à la biographie de l’écrivain que le chapitre dont elle vient ainsi de s’enrichir. On y prend sur le fait le courtisan, l’homme d’affaires, l’agent politique ; on saisit quelque chose de cette activité secrète qu’on savait avoir rempli sa vie pendant les vingt années qui précédèrent la révolution, mais dont on ignorait absolument les détails. La publication de ces inestimables documens est due à la Société impériale d’histoire de Russie, dont les travaux avaient déjà mis au jour plusieurs pièces intéressantes