La spéculation, qui a pris à tâche sur notre place de préparer les voies à une reprise d’affaires en soutenant contre vents et marées les cours de nos fonds publics, ne serait que trop autorisée, en cas d’échec, à plaider les circonstances atténuantes. Elle a eu successivement contre elle, cette année, le désastreux épisode de Langson, le conflit anglo-russe, l’affaire des îles Carolines, sans parler de l’état de santé de l’empereur d’Allemagne, des péripéties de l’épopée soudanienne, des questions de Zanzibar, de Madagascar, et de tant d’autres incidens imprévus, qui, à chaque instant, venaient renverser les calculs les mieux établis, dérouter les prévisions les plus raisonnablement fondées, détruire en un instant les améliorations parfois si péniblement obtenues. Encore négligeons-nous toutes les considérations d’ordre intérieur, débats parlementaires, déficit budgétaire, déplorable état de nos finances, proximité des élections générales, qui auraient pu décourager une troupe de haussiers moins aguerrie et moins résolue que celle qui, dans une situation aussi troublée, maintient le 3 pour 100 français à 81 francs et le 4 1/2 aux environs de 110 francs.
Ces haussiers ont, il est vrai, obtenu le concours franc et large des capitaux de placement, et c’est à ce concours qu’ils ont dû leurs constans succès. Il y a eu quelques jours d’hésitation après l’affaire de Langson. Un ministère qui avait tenu longtemps le pouvoir tombait au milieu d’une bourrasque; on se voyait à la veille d’une guerre à fond contre la Chine avec un cabinet dans l’énergie duquel la nation ne pouvait avoir qu’une confiance des plus limitées. Heureusement la paix se négociait à l’heure même où la nécessité d’une grande expédition apparaissait manifeste à tous les esprits.
Une fois remise de cette vive alarme, la spéculation haussière ne s’est plus laissé désarçonner. Forte de l’affluence des capitaux, du goût toujours aussi vif de l’épargne pour les placemens à revenus fixes, d’une aisance persistance sur tous les marchés monétaires, du taux des reports s’avilissant de plus en plus à chaque liquidation, elle a tenu tête aux événemens, et réduit à l’impuissance toutes les tentatives successives des vendeurs à découvert.
