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Voilà ce que l’orateur, — car on peut l’appeler ainsi, — va s’attacher à prouver. Mais l’invention, comme les rhéteurs appellent cette première partie de l’art du discours qui consiste à trouver des argumens, est extrêmement simplifiée dans l’éloquence chrétienne. Elle consiste seulement à recueillir des textes dans les écritures ; car toute proposition qui se trouve dans les écritures est par cela seul prouvée pour un chrétien. Et comme tout le Nouveau-Testament et une grande partie de l’ancien ne sont qu’une prédication, les textes abondent en effet, et il n’y a qu’à les ramasser. L’art de l’orateur se réduit à une mémoire qui s’en est approvisionnée largement et à une souplesse d’esprit qui lui fait toujours retrouver à propos ce qui lui convient. C’est là, en effet, le secret de Cyprien. Dans cet écrit de dix-huit pages, il y a jusqu’à cinquante-cinq citations des livres saints, qui forment à peu près toute la trame du ; discours. Quelques-unes sont capitales : « Un seul cœur, un soûl esprit, une seule espérance en laquelle vous êtes appelés ; un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu. » (Eph., IV, 4.) — « Qui n’est pas avec moi est contre moi. » (Matth, XII, 30.) — « Et il n’y aura qu’un troupeau et qu’un berger. » (Jean, X, 16). — « Qu’il n’y ait pas de divisions parmi vous. » (I Cor., I, 10), etc. Mais cette méthode veut que, si on ne trouve pas assez de textes, on y supplée. Les allégories sont pour cela d’une grande ressource. Quelques-unes ont si bien réussi qu’on peut dire qu’elles font autorité, comme celles de l’arche de Noé, ou de la tunique sans couture. D’autres sont plus difficiles à accepter. Dans le Cantique des cantiques, quand l’amant dit en parlant de l’amante : « Ma colombe est unique, » il n’est pas clair que cela signifie l’unité de l’église. De ce qu’il est dit dans l’Exode que l’agneau pascal doit être mangé dans la maison, et qu’aucune portion de cette chair ne sera emportée au dehors, on peut douter que Cyprien ait droit de conclure qu’il ne faut pas porter au dehors la chair du Christ, c’est-à-dire qu’il ne faut pas communier avec ceux qui « se sont séparés de l’église. » Ces procédés d’argumentation gâtent trop souvent les œuvres des Pères.

D’ailleurs les textes, s’ils sont un secours, peuvent être aussi un embarras. Ainsi, les dissidens de Carthage opposaient à Cyprien un verset célèbre : « Quelque part que deux ou trois se rassemblent en mon nom, je suis là au milieu d’eux. » (Matth., XVIII, 20.) Ils prétendaient démontrer par là qu’ils n’avaient pas besoin d’avoir avec eux un clergé ni un évêque. Il se tire ingénieusement de l’objection ; elle ne laissait pas pourtant d’être gênante.

Mais parmi ces textes, il y en a un qu’il cite tout d’abord, au début de son argumentation, et auquel je dois m’arrêter, à cause de