s’accumulent, d’où peuvent sortir à tout instant de ces complications auxquelles les gouvernemens qui ne travaillent pas à se désorganiser eux-mêmes sont seuls toujours préparés. Il y a l’imprévu qui éclate sous toutes les formes et qui peut prendre un caractère d’autant plus grave, d’autant plus menaçant que les rivalités d’influence sont plus complexes, plus étendues, qu’elles ont l’univers pour théâtre. Le danger pour la sécurité générale peut venir, sans qu’on s’en doute, d’une extrémité du monde, comme il peut naître d’une insurrection qui réveille l’antagonisme de toutes les politiques. Quand ce n’est pas la querelle des Russes et des Anglais sur une frontière incertaine et disputée de l’Afghanistan, c’est le conflit de l’Allemagne et de l’Espagne au sujet de quelques îles de l’archipel des Carolines ; quand ce n’est pas le conflit hispano-allemand à propos d’une possession lointaine, c’est cette révolution nouvelle qui vient d’éclater dans la Bulgarie et la Roumélie, qui remet en doute tout ce que le congrès de Berlin a eu la prétention de créer entre le Danube et les Balkans, entre les Balkans et la mer Egée. C’est peut-être la question orientale qui se rouvre tout entière avec toutes ses complications d’intérêts diplomatiques, de passions locales, et par une coïncidence qui ne laisse pas d’être curieuse, cette crise nouvelle de l’Orient se produit au lendemain de l’entrevue de Kremsier, au moment même où se multiplient les déclarations pacifiques : tant il est vrai que nous vivons dans un temps où il n’y a que des trêves, où tout dépend des incidens dans une situation livrée à la force.
Il faut se souvenir de ce que le congrès de Berlin avait fait il y a sept ans pour établir un certain ordre nouveau dans ces régions des Balkans, qui venaient d’être dévastées par la guerre, qui restaient encore au pouvoir des armées du tsar. Au traité de San-Stefano, que la Russie, arrivée aux portes de Constantinople, avait imposé à la Turquie, et qui créait sur les deux versans des Balkans une grande Bulgarie destinée à être un avant-poste russe, la diplomatie européenne substituait une combinaison à la vérité assez artificielle. Ce que la Russie s’était proposé d’unir, dans l’intérêt de sa politique et de son influence, la diplomatie de l’Europe, particulièrement inspirée en cela par lord Beaconsfield, s’efforçait de le diviser justement pour neutraliser l’influence russe. Elle maintenait, au nord des Balkans, une principauté qui, sauf un léger lien de vassalité, devait être à peu près indépendante, qui s’est constituée, en effet, en se donnant pour chef un prince étranger, le prince Alexandre de Battenberg ; elle formait en même temps, au sud des Balkans, avec l’autre partie de la Bulgarie, une province qu’elle décorait du nom un peu bizarre de « Roumélie orientale, » et qui, en demeurant rattachée à l’empire ottoman, devait être dotée d’une large autonomie sous un gouverneur turc nommé par le sultan avec l’assentiment des puissances européennes : de sorte que les deux provinces, les deux parties de la Bulgarie, se trouvaient pla-