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parfaitement nette, d’avoir toutes les allures d’une campagne vivement conduite. Il s’est trouvé quelques hommes intelligens et courageux, M. George Picot, M. Adrien de Montebello, M. Hector Pessard, qui, en restant dans la république, n’ont pas craint de lever le drapeau d’une politique libérale et conservatrice. Ils refusent d’aller se perdre dans le vaste amalgame qui s’appelle la « concentration des forces républicaines, » de se confondre avec les opportunistes comme avec les radicaux. Ils combattent seuls, défendant la liberté religieuse, l’économie dans les finances, l’intégrité de l’armée menacée par la loi militaire, l’indépendance de la magistrature, tout ce que les opportunistes ont compromis, tout ce que les radicaux achèveraient de perdre. Ils sont partout, acceptant la lutte avec leurs adversaires de toutes couleurs, et le succès qu’ils obtiennent prouve que cette campagne répond à un sentiment profond. Il n’est, point douteux que ce serait là, dans la république, si la république doit vivre, le rôle d’un vrai parti modéré qui, pour garder son caractère et son autorité, doit rester lui-même, sans se prêter à des connivences compromettantes, en évitant, d’un autre côté, de blesser des conservateurs parmi lesquels il peut trouver ses plus sérieux alliés. Qu’on réfléchisse bien effectivement que, dans ces masses conservatrices qui semblent se réveiller aujourd’hui, est la vraie force dont aucun gouvernement ne peut se passer, et c’est pour avoir méconnu cette vérité que les républicains ont créé à la France une situation intérieure difficile, en même temps qu’une situation extérieure embarrassée et affaiblie.

Y eut-il cependant jamais un moment où une nation éprouvée, mais toujours jalouse de sa dignité et de son influence, dût être plus préoccupée de garder son crédit, ses moyens d’action et sa liberté, en un mot tout ce qui fait qu’une grande nation se sent toujours prête à remplir son rôle dans le monde ? Ce n’est point qu’il y ait généralement en Europe une bien vive impatience des conflits et des aventures ; ce n’est pas surtout que les déclarations et les manifestations rassurantes nous manquent. On est à peine au lendemain d’une de ces rencontres de souverains qui ont toujours pour objet, à ce qu’on dit, de garantir la tranquillité du monde. Tout récemment le vieil empereur Guillaume laissait échapper sur son chemin des paroles exprimant une certaine confiance dans une paix prolongée, et hier encore l’empereur François-Joseph, en ouvrant le Reichsrath, déclarait que toutes les relations sont satisfaisantes, que « toutes les puissances sont unanimes dans leurs efforts pour le maintien de la paix… »

Oui, c’est entendu, c’est présumable, tout le monde veut la paix autant que possible, parce qu’on sent bien tout ce qu’une conflagration aurait de redoutable ; seulement, on aurait beau s’y méprendre, il y a depuis longtemps une de ces situations où les élémens inflammables