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représentation, ou, en d’autres termes, à deux degrés. Cela est si vrai que ce qui n’est pas dans la loi, on est conduit à le pratiquer par nécessité, par une sorte de subterfuge ou d’usurpation. Partout il y a des comités qui se chargent de désigner des candidats, de composer des programmes, de diriger le mouvement électoral, et d’où sortent-ils, ces comités ? de qui tiennent-ils leur mandat et leur titre ? Ils se sont le plus souvent nommés eux-mêmes ; ils se sont donné de leur propre autorité la mission de former des listes qu’ils prétendent imposer aux électeurs. C’est-à-dire qu’ils pratiquent le suffrage à deux degrés ; seulement ils le pratiquent sans garantie et sans contrôle, en abusant de la simplicité du pays, qui ne sait même pas à qui il a affaire. Ils procèdent comme font aujourd’hui à Paris tous ces comités qui sont nés dans les conciliabules secrets ou dans le bureau d’un journal, qui traitent gravement entre eux des intérêts électoraux de la grande ville, qui se croient le droit de disposer des mandats législatifs, de régenter l’opinion. Si on a voulu prouver que le suffrage universel par le scrutin de liste n’est sérieusement praticable qu’avec la représentation à deux degrés légalement consacrée, on y a certainement réussi plus qu’on ne le croyait peut-être. C’est là, si l’on veut, une première moralité de cette préparation du scrutin du 4 octobre. Mais ces élections parisiennes ont un autre caractère, un autre intérêt. Elles sont le témoignage le plus frappant de la manière dont les républicains ou les radicaux entendent la représentation de la grande ville.

Qu’on fouille toutes ces listes qui pullulent de toutes parts, qui se multiplient avec les comités : il y a évidemment quelques noms qui ont une certaine notoriété, ne fût-ce qu’une notoriété de parti ; les autres sont, pour la plupart, des inconnus. — C’est l’opinion et le goût de la démocratie parisienne, dira-t-on. Le conseil municipal n’est point autrement composé, la députation se composera de même : c’est le triomphe de l’égalité et de la démocratie ! Sans doute la députation, telle qu’on la propose, sera un autre conseil municipal ; ils se ressembleront et seront au même niveau. De sorte que la première ville du monde, la ville des plus puissantes industries, des grandes affaires, des sciences, des lettres, des arts, semble fatalement destinée à être représentée par des inconnus, par de médiocres révolutionnaires, auxquels le hasard d’un scrutin confie les plus sérieux, les plus rares intérêts. Et avec ce système sait-on à quoi on arrive ? On finit évidemment par ruiner le prestige et la grandeur morale de Paris, par affaiblir l’estime du monde et même, jusqu’à un certain point, l’attachement d’une partie de la France pour une ville qui a régné autrefois par le génie sous toutes ses formes, qui ne serait plus désormais qu’un foyer de démocratie vulgaire et tapageuse. C’est là encore, si l’on veut, une autre moralité que les radicaux donnent à ces élections prochaines, avec leurs listes d’inconnus et leurs programmes révolutionnaires, qui