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Stephanus, comme ce n’en est pas un pour Judas de nous avoir valu la passion du Christ. Il se récrie sur sa hardiesse, son insolence, ses mauvais procédés ; il parle même de sa sottise, stultitiam. Il lui reproche de s’abandonner à des colères, faute de raisons. Il lui dit enfin : « Quand tu as la prétention que tu peux excommunier tout le monde, c’est toi-même que tu excommunies. » Il n’y a guère de phrase dans cette lettre qui ne scandalisât l’église d’aujourd’hui. C’est ainsi que Cyprien et ses amis, à force d’indignation contre le schisme, se sont eux-mêmes approchés du schisme, mais ils ne sont pas allés jusqu’au bout.

Nous avons encore un témoignage de l’indépendance des évêques à l’égard de l’église de Rome dans une lettre de Cyprien à des églises d’Espagne, écrite par lui et portant les noms d’une quarantaine d’évêques africains qu’il avait assemblés en concile (lettre 67). Il y est question de deux évêques espagnols qui avaient été déposés comme Tombés. L’un d’eux, quand déjà il avait été remplacé, avait eu l’idée d’aller à Rome, où il avait sollicité et obtenu de Stephanus que celui-ci invitât ses collègues à lui rendre ses fonctions. Sans oser dire, remarquons-le, que cette invitation n’ait pas sa valeur, les Africains disent que Stephanus a été trompé, qu’il est trop loin, qu’il n’a pas su comment les choses s’étaient passées, et enfin ils concluent à ne pas tenir compte de sa demande, et à ce que celui pour qui il intercédait demeure déposé.

Il est donc certain qu’au IIIe siècle l’évêque de Rome n’était pas un chef de l’église, et n’avait aucune autorité reconnue. Mais il est certain également qu’il exerçait néanmoins une très grande autorité morale ; que chacun recourait à lui et cherchait à le mettre de son côté ; que ceux mêmes qui lui résistaient craignaient de rompre avec lui, et croyaient faire assez s’ils pouvaient se maintenir libres chez eux, sans essayer d’agir au dehors. On sent bien ici, par exemple, que Rome n’a qu’à attendre, et que le jour où elle ne trouvera plus devant elle, sur le siège de Carthage, un personnage aussi considérable que Cyprien, elle ramènera cette église à son obéissance avec l’Occident tout entier. Cyprien le sent lui-même sans doute, et c’est ce qui fait son irritation et celle de ses amis. Et, en effet, la doctrine soutenue par Stephanus, qu’il n’y a pas lieu de rebaptiser ceux qui ont reçu le baptême des hérétiques, était déjà au temps d’Augustin et est restée depuis lors celle de toute l’église.

On trouve encore dans les lettres de Cyprien la trace de quelques autres contestations. On disputait, par exemple, sur la question de savoir si le baptême était valable quand il était donné seulement par aspersion à un malade couché dans son lit, et qui ne pouvait le recevoir par immersion, suivant la coutume d’alors (lettre 69).