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vaines alarmes. L’Angleterre, disait-il, avait éprouvé d’abord quelque étonnement « de voir les rats de terre du voisin se jeter à l’eau, » mais on pouvait compter sur sa résignation, et quant aux Espagnols, il répondait de leurs bons sentimens, des excellentes relations d’amitié qu’il entretenait avec eux. Loki rappellera peut-être ces déclarations aux électeurs prussiens. Mais M. de Bismarck n’attendra pas jusqu’au mois de novembre pour réparer sa faute. Il étonnera le monde par sa souplesse, on ira devant le juge, et celui qu’on a choisi est tel que M. Windthorst et le centre catholique ne pourront rien trouver à redire à sa sentence. Que si Loki voulait tirer parti des affaires de Bulgarie pour démontrer à Hoedur que la clairvoyance d’un grand homme est quelquefois en défaut, il perdrait ses peines. Quels que soient ses griefs et si épais que soit son cerveau, Hoedur considérera toujours M. de Bismarck comme le premier homme du monde pour embrouiller et pour débrouiller un écheveau, et le fils d’Odin et de Frigg laisserait volontiers au chancelier de l’empire le soin de gouverner l’Europe s’il voulait bien renoncer à gouverner l’Allemagne et le royaume de Prusse.

Les journaux officieux se flattent que les progressistes perdront plus d’un siège électoral et ils attendent les plus heureux résultats de la coalition des conservateurs et des nationaux-libéraux. Quand l’événement justifierait leurs prédictions, nous doutons que M. de Bismarck réussisse jamais à grouper autour de lui une majorité de gouvernement. A quelque chambre qu’il ait affaire, il la rebutera par ses incartades, il l’étonnera par ses contradictions et il n’obtiendra rien d’elle qu’à la pointe de l’épée. Quand on considère sa politique intérieure, on croit voir une de ces comètes dont personne ne peut calculer l’orbite très excentrique et les mouvemens irréguliers et qui, s’avançant un jour de 40 degrés, rétrogradent subitement. A la vérité, la plupart des comètes sont formées d’une matière si rare et si subtile qu’on peut affronter sans crainte le hasard d’une rencontre avec ces astres aux révolutions incalculables. Mais celle dont nous parlons est pourvue d’un noyau très dense, très massif, et conservateurs, libéraux, catholiques ou progressifs, tous les partis qu’elle vient à heurter dans sa course fougueuse et fracassante résistent difficilement à la violence de ce choc; c’est une aventure dont on se souvient. M. de Bismarck est l’homme d’état qui inspire le plus de crainte à ses ennemis et qui cause sans remords le plus de chagrins à ses amis.


G. VALBERT.