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que l’église de Rome, l’église de Pierre, ne supportait pas aisément qu’on prétendit lui faire la leçon, une autre raison devait faire juger cette nouveauté insupportable à Stéphanus ; c’est qu’il parait que Novatianus et les siens la pratiquaient, et qu’ils s’étaient mis à rebaptiser ceux qui venaient à eux.

Cyprien persista ; il convoqua un nouveau concile, où il assembla cette fois jusqu’à soixante-dix évêques. Nous avons dans ses œuvres le procès-verbal de ce concile, où l’opinion de chaque évêque (ils sont unanimes) est résumée eu quelques mots. Il y a un préambule, où Cyprien prend encore la précaution de déclarer que le concile ne prétend pas imposer un dogme ni excommunier personne : « Car aucun de nous ne se constitue évêque des évêques, » trait adressé évidemment à Stéphanus.

Avant de recueillir les voix, Cyprien avait fait lire une lettre que l’évêque Jubaianus lui écrivait pour lui demander une consultation sur cette question, et la réponse qu’il avait faite à cette lettre. Nous n’avons que cette réponse, qu’il publia ensuite (lettre 73). C’est un écrit très étendu, mais auquel je ne m’arrêterai pas, ce débat purement théologique ayant perdu aujourd’hui tout intérêt. Mais il y a toujours un intérêt historique à considérer l’attitude de Cyprien à l’égard de Stéphanus. Non-seulement il n’obéit pas et ne se croit nullement tenu d’obéir ; mais il ne se tient pas obligé à plus de respect à l’égard de Stéphanus que Stéphanus n’en a eu pour lui ; (lettre 74, à l’évêque Pompeius.) Il dira : « Parmi tant de propos hautains, ou peu pertinens, ou contradictoires, qu’il laisse échapper maladroitement et sans réflexion, etc. » Il l’accuse d’obstination intraitable, d’entêtement, d’aveuglement ; il lui dit qu’il n’a pas seulement à enseigner, mais à apprendre. Il lui applique telles paroles des écritures, flétrissantes ou menaçantes, et lui demande quelle figure il fera au jugement dernier. Rien ne parait aujourd’hui plus étrange.

Et cependant Cyprien est réservé, si on le compare à cet évêque Firmilianus, dont j’ai parlé, qui, établi dans l’Asie grecque, avait moins encore à se gêner avec Rome. Cyprien lui avait écrit pour lui exposer le débat ; nous n’avons pas cette lettre, mais nous avons la réponse (lettre 75) ; le nom latin de l’évêque permet de croire que cette lettre latine est bien l’original. Il y parle de Stéphanus, d’un bout à l’autre, avec une grande irrévérence. « Il y a une chose dont nous pouvons remercier Stéphanus, c’est que sa grossièreté nous a valu de reconnaître votre loyauté et votre sagesse[1]. » Et il ajoute que ce n’est pas là d’ailleurs un mérite pour

  1. « Fidei et sapientiœ vestræ, » au pluriel, et non tuœ. » Le pluriel s’explique par ce fait que l’écrit de Cyprien, auquel Stéphanus répondait, portait les noms de plusieurs évêques. C’était sans doute la lettre 72.