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pour les vainqueurs. Les progressistes, qui ont l’humeur plus fière et le sang plus chaud, ont sur eux l’avantage de savoir nettement ce qu’ils veulent, et les discours prononcés à Breslau par leurs chefs prouvent que les échecs qu’ils ont essuyés l’an dernier n’ont pas abattu leur courage. Quelques jours auparavant, les catholiques s’étaient excités au saint combat dans l’imposant et bruyant congrès de Munster. Ceux qui s’imaginaient que le parti du centre ne demandait qu’à s’accommoder avec M. de Bismarck étaient loin de compte. Jamais M. Windthorst et ses amis ne se sont montrés plus belliqueux ni plus sûrs de la victoire; jamais encore on n’avait fait retentir plus hautement les cantiques de Sion ni soufflé avec plus d’ardeur dans ces trompettes qui font crouler les murailles de Jéricho. — « Il nous faut nos jésuites, s’est écrié un orateur ; ils nous sont aussi nécessaires que ses canons au maréchal de Moltke. Nous les voulons, on nous les rendra. »

M. de Bismarck ne ménage guère ses ennemis, mais il ne les traite pas tous de la même façon. Quand il rudoie les catholiques, on sent percer quelque estime sous la colère. Il est convenu lui-même que le parti du centre avait beaucoup de choses qui l’attiraient et le séduisaient, une admirable organisation, une excellente discipline, une direction fixe sous les ordres d’un chef également fixe, tous les avantages et les principes d’une institution conservatrice et monarchique. Il a fait un jour à M. Windthorst, à celui qu’on appelle la petite excellence, le compliment qu’il avait du plaisir à l’entendre de temps en temps ; il lui reprochait seulement d’avoir trop de goût pour l’hyperbole : « Quoique M. Windthorst, disait-il, ne soit pas chasseur, il exagère comme un chasseur. » Mais, quelque considération que puisse avoir M. de Bismarck pour les chefs du centre catholique, il a déclaré plus d’une fois qu’on ne pouvait traiter avec eux, que les demi-concessions ne leur suffisaient pas, qu’il fallait se livrer, se donner tout entier, corps et âme, qu’à la longue on se trouvait pris, et qu’il était dangereux d’être le prisonnier d’un parti qui va chercher au-delà des monts ses inspirations et ses mots d’ordre. — « Nous sommes rudes au toucher, mais aussi adhésifs que notre poix noire, » disait fièrement le président du comité central de Munster à l’ouverture du congrès catholique.

Si le parti du centre inspire à M. de Bismarck une défiance mêlée de quelque estime, il n’éprouve pour les progressistes qu’une insurmontable et méprisante aversion, qu’il ne prend pas la peine de leur cacher. Il ne voit en eux que des factieux, des rebelles, et il les traite de haut, sur un ton de chagrin amer et superbe. Il lui en coûte peu de reconnaître que la démocratie socialiste, dans certaines rencontres, peut être bonne à quelque chose ; il mourra sans avoir compris à quoi peut servir un progressiste. A vrai dire, M. Eugène Richter et ses amis n’ont jamais tenté de se concilier sa bienveillance. Tous les autres partis, successivement, ont caressé la décevante illusion qu’ils pouvaient