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un concile des évêques d’Afrique, que le baptême des hérétiques n’était pas valable, et que ceux qui n’avaient reçu que ce baptême ne pouvaient être admis dans l’église sans recevoir un baptême nouveau. Cette règle n’avait cessé d’être suivie en Afrique[1], mais elle n’était pas adoptée ailleurs. Dans son animosité contre le schisme, Cyprien prétendait appliquer cette décision aux schismatiques aussi bien qu’à l’hérésie et, de plus, il voulut en faire la loi de l’église universelle. Il fit d’abord renouveler par une trentaine d’évêques, assemblés avec les anciens de Carthage, la décision d’Agrippinus, puis il la notifia à l’évêque de Rome (lettre 72), en lui demandant de l’approuver. Cependant on voit bien, par sa lettre même, qu’il n’attendait pas cette approbation et ne comptait pas que cette doctrine pût être reçue à Rome : « Je sais qu’on ne renonce pas volontiers aux idées dont on est une fois imbu, et qu’on se refuse à changer de principes ; on aime mieux, sans pour cela rompre la communion et la concorde avec ses collègues, rester fidèle à ses habitudes. Aussi ne prétendons-nous pas taire violence ni dicter la loi à personne, chaque chef d’église devant conserver chez lui sa pleine liberté et ne rendre compte de sa conduite qu’au Seigneur. » Il sent donc bien qu’il ne saurait imposer son sentiment à l’évêque de Rome ; il espère seulement, et c’est évidemment l’objet de sa lettre, que Stéphanus, sans adopter l’opinion qui a prévalu en Afrique, voudra bien s’abstenir de la combattre et rester neutre dans la question, ou que tout au moins, dans son langage, il rendra à l’évêque de Carthage ménagemens pour ménagemens. Il fut tout à fait trompé dans cette attente.

Nous n’avons pas la réponse de Stéphanus, mais les lettres 74 et 75, dans la Correspondance de Cyprien, nous permettent de nous en faire une idée. Il repoussait absolument la doctrine africaine, il la condamnait, et enjoignait à Cyprien et aux siens de l’abandonner. Il s’emportait, il menaçait, il parlait de faux Christs, de faux apôtres, d’ouvriers de mensonges, n’appliquant pas directement à Cyprien ces paroles, — du moins, je le crois, — mais s’y prenant de manière à ce qu’on les lui appliquât ; il se montrait prêt à excommunier, non pas sans doute ceux qui tenaient cette doctrine, car il ne l’a pas fait, mais apparemment ceux qui auraient essayé de l’introduire dans Home malgré lui. Il refusait de conférer avec des évêques d’Afrique qui lui étaient députés ; il allait jusqu’à interdire à ses fidèles de leur donner l’hospitalité. Outre

  1. Cyprien dit qu’elle avait été appliquée à des milliers d’hérétiques (tot millia), ce qui montre les progrès incessans de l’unité parmi les chrétiens, et comment les hérésies allaient se perdant l’une après l’autre dans la grande église.