Il ne faut pas là une armée ; que l’on veuille bien songer que toute la colonie, avec ses nouvelles dépendances, c’est-à-dire un pays égal en superficie aux deux tiers de la France, nous le tenons avec une force militaire de moins d’un millier d’hommes, dont plus de la moitié sont indigènes. On admire les Romains, qui, cent ans après la conquête de la Gaule, maintenaient l’ordre dans cette vaste région avec 3,000 soldats. Il me semble que nous faisons aussi bien en Afrique. Ce faible effectif prouve encore que, pour la masse des populations, nous ne sommes pas des envahisseurs, mais des libérateurs.
Quand elles nous connaîtront mieux, les rapports seront encore plus faciles. Dans ces récits, on a pu admirer la brillante valeur de nos officiers : il y a autre chose à admirer chez eux. C’est par eux, au prix de mille dangers, que la topographie du pays a été levée, que les villes et les forts, depuis Dakar et Médine, créations de M. Faidherbe, jusqu’à Kita et Bammako, créations de M. Borgnis-Desbordes, ont été fondés. C’est surtout par eux que les questions compliquées d’ethnographie et de linguistique ont été débrouillées, que les religions, les lois, les usages, les productions et le commerce du pays ont été étudiés. Il s’est révélé là une race d’hommes de guerre qui peuvent soutenir la comparaison avec ce que les meilleures armées européennes ont de plus brave et de plus intelligent. Ils se sont faits géographes, philologues, légistes, économistes, ingénieurs, agriculteurs, et ils ont payé de leur sang chaque progrès accompli. En somme, comme le demandait Harpagon, ils ont fait beaucoup avec peu d’argent. Ce qui met le sceau à leur mérite, c’est l’esprit de justice et d’humanité qui inspire leur conduite à l’égard des indigènes. Jamais ils n’ont attaqué un tata sans avoir d’abord essayé de faire entendre raison aux insurgés. On ne peut leur reprocher ni un acte indélicat, vis à vis d’ennemis barbares, ni une exécution inutile. Ils aiment les noirs pour leurs bonnes qualités et sont indulgens pour leurs défauts, les excusant d’être voleurs, menteurs, ivrognes, assurant que la faute en est à la vieille barbarie et qu’on finira par changer tout cela. Ils les traitent en enfans, mais se regardent un peu comme leurs tuteurs. Faidherbe, Gallieni, Piétri, Borgnis-Desbordes, si énergiques en face du péril, d’un sang-froid stupéfiant dans des situations désespérées, sont des négrophiles en képi. Il y a au moins autant de vraie philanthropie chez eux que dans toutes les associations abolitionnistes des Trois-Royaumes. Gallieni, si maltraité à Dio, ne perd jamais une occasion de montrer tout ce qu’il y a de bon dans les nègres, de mettre en lumière la bravoure, le dévoûment de ses tirailleurs, de ses spahis, de son vieux laptot Samba-Ouri, et de tant