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cavaliers toucouleurs, les prisonniers échappés aux caravanes des Maures, tout cela accourt autour de nous. Partout où peut s’exercer notre influence, nous empêchons la traite, nous arrêtons la guerre de village à village, qui, pour un bœuf ou pour une femme, dévastaient une contrée. En un mot, nous faisons régner autour de nous, comme disaient les anciens, la majesté de la paix romaine.

Je ne crois pas qu’on ait, en aucun temps, en aucun pays, assisté à un progrès plus rapide. C’est ainsi qu’aux États-Unis le chemin de fer du Pacifique a fait naître sur son parcours, en pleine solitude, villages, villes, cultures, industries. En 1878, le pays de Bafoulabé était absolument désert : depuis qu’un fort français s’y est élevé, on y fait pour 3,200,000 fr. d’affaires : et ce chiffre, celui de l’année 1884, est en augmentation de plus de 1,200,000 fr. sur celui de l’année précédente. A Kita, avant notre établissement, les gens de Makandiambougou ne vivaient que du pillage des caravanes et étaient pillés eux-mêmes par les gens de Goubanko : on y fait aujourd’hui pour près de 4 millions d’affaires, et ce chiffre est un progrès de 1,870,000 francs sur celui de l’année précédente. Bammako, qui était rançonné tour à tour par les cavaliers d’Ahmadou et par ceux de Samory, qui était un marché absolument ruiné et dont les caravanes avaient oublié le chemin, a fait, en 1884, pour 4,800,000 fr. d’affaires, chiffre en augmentation de 600,000 fr. sur celui de l’année précédente. Remarquons que nous n’avons encore que des forts dans ces pays, que nous n’y possédons même pas une route, que l’éloquence des orateurs de l’opposition a obtenu devant la chambre ce grand succès d’arrêter les travaux du chemin de fer : les wagons ne circulent aujourd’hui que sur un parcours de 54 kilomètres.

On peut donc bien dire, avec les Notices coloniales, que tout cela n’est a qu’un commencement. » Notre influence produit seulement ses premiers effets, et dans un rayon encore bien limité. Nous n’avons qu’à persévérer : le désert qu’ont fait les invasions toucouleures, nous le déferons ; nous créerons, ou plutôt nous recréerons le pays et la société noire ; avec des besoins nouveaux chez les barbares, nous ferons naître le commerce. Comme dit M. le général Faidherbe dans sa lettre du 23 décembre 1883 aux sénateurs : «L’indigène aujourd’hui n’a pas besoin de travailler plus d’un mois par an : cela suffit pour se nourrir de mil et d’arachides et pour avoir un pagne de coton, tissé et teint par lui, autour des reins; mais le jour où il trouvera à vendre ses produits, à acheter des armes, des chevaux, des vêtemens, du sel, il travaillera quatre fois plus. Nos indigènes du littoral sénégalais n’étaient pas plus laborieux il y a trente ans : ils le sont devenus quand ils ont vu ce que nous leur apportions en échange de leurs produits. »