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le passage d’une caravane n’était qu’une occasion de piller. Il repasse un an après dans les mêmes pays : il est étonné de ce qu’il voit : «Cette population, que nous avions laissée misérable et en haillons, nous la retrouvions proprement vêtue, habitant dans des cases presque confortables et pourvues de quelques meubles rudimentaires, achetés à nos traitans du haut fleuve. »

Dans les récentes discussions de la chambre, les adversaires, quelquefois aussi les défenseurs du chemin de fer des hauts fleuves, parlent couramment des « sables du Soudan, » des « déserts du Sénégal. » Assurément, il y a des déserts dans l’ouest africain ; nos postes de Podor et de Saldé, par exemple, sont resserrés entre les déserts sablonneux qu’habitent les Maures et les déserts du Ferlo. Mais la région des hauts fleuves, c’est tout autre chose ; les voyageurs la signalent au contraire, comme étant, dans sa plus grande partie, une région de terre profonde, bien arrosée, d’une fécondité exubérante : après la saison des pluies, on voit, dans l’intervalle du soir au matin, les herbes et les arbustes grandir. Toutes ces provinces produisent en abondance le riz, les arachides, l’arbre à beurre et vingt autres plantes, importantes ou pour l’alimentation locale ou pour l’exportation. Dans les forêts, les éléphans, avec leurs précieuses défenses, vivent en troupeaux. Les plateaux regorgent de fer, de cuivre. L’Ouassoulou, le Sankaran, le Bambouk, le Bouré, sont une petite Californie : les indigènes y recueillent l’or par le moyen le plus primitif, à la battée; le quartz aurifère, traité à l’américaine, y donnerait, d’après les observations du docteur Colin (Bulletin des Mines, mars 1885), des produits considérables.

On a raison de demander des colonies qui rapportent. Mais qu’on en cite une qui remplisse mieux le programme. De 1818 à 1823, notre colonie du Sénégal faisait en tout pour 2,300,000 francs d’affaires. De 1834 à 1835, le chiffre s’élève à 17 millions; en 1879 il dépasse 33 millions ; d’après la dernière statistique, il atteint 44,602,888 francs. Voilà, certes, une progression pleine de promesses.

J’ai déjà caractérisé l’œuvre de civilisation que nous avons accomplie sur le Bas-Sénégal. Elle se poursuit par les mêmes procédés sur le Haut-Sénégal et le Haut-Niger. Nous avons trouvé le pays en proie à ces guerres de races, à ces migrations de peuples, à cette destruction de la vie sédentaire, que présenta l’Europe au temps des invasions barbares. Nous avons arrêté le mouvement de dépopulation; chacun des forts que nous avons construits là-bas, Bafoulabé, Badumbé, Kita, Koundou, Niagassola, Bammako, fixe toute une province. Des villages se construisent à portée de nos canons, des peuplades s’y établissent ; on se dispute les terres qui sont dans le rayon de la forteresse ; les tribus exposées aux incursions des