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Mais il prévoit que de telles déclarations, bonnes pour la foule, ne sont pas si faciles à faire accepter par un évêque. Il y a des gens, il le sait bien, qui trouvent ces visions ridicules : « Ce sont ceux qui aiment mieux croire contre le Prêtre que de croire au Prêtre. » Et il se compare sans façon à Joseph, dont ses frères raillaient les songes.

Quelque amer que soit ce ton, on voit bien pourtant que la rupture entre les deux évêques n’est pas accomplie. On s’observe et on se tâte, et il est probable que cette escarmouche n’eut pas d’autre suite. On remarquera que, dans toute la lettre, Cyprien appelle Florentius « mon frère, » comme celui-ci avait fait sans doute de son côté. Mais voici comment il termine : « Telle est la réponse que m’a dictée ma conscience, et ma confiance dans mon Seigneur et mon Dieu. Tu as ma lettre et j’ai la tienne. Au jour du jugement, on les lira l’une et l’autre devant le tribunal du Christ. »

En attendant le jour du jugement, les deux lettres allaient être lues à côté l’une de l’autre par toute l’église, car toute l’église parlait alors la même langue ; il y a longtemps qu’une polémique de ce genre ne trouve plus une si vaste publicité. On sent que Cyprien est sûr de l’effet que son écrit va produire. Et moi-même, en l’analysant, il me semble entendre les applaudissemens et quelquefois les rires qu’il soulevait dans les groupes de chrétiens qui en faisaient la lecture et qui retentissaient sans doute jusqu’aux oreilles de Florentius.

Jusqu’ici, nous ne voyons Cyprien que triomphant, mais ses triomphes mêmes lui donnèrent trop de confiance et il en vint à trop entreprendre dans sa querelle avec l’évêque Stéphanus. Il n’avait pas trouvé de résistance dans Cornélius, soit qu’il le dût à un ascendant naturel, ou au besoin que Cornélius avait eu de lui pour se défendre contre le schisme de Novatianus ; mais Cornélius était mort, et Lucius, son successeur, n’ayant pas vécu une année, Stéphanus devint évêque après eux. Nous avons deux lettres de Cyprien à Stéphanus : la première ne pouvait être que bien reçue ; elle lui dénonce un évêque d’Arles qui s’était déclaré pour Novatianus, dont le schisme persistait, et l’invite à écrire aux évêques de la Gaule pour le faire déposer et remplacer. Stéphanus dut faire avec empressement ce qui lui était demandé ; peut-être seulement fut-il étonné du ton que Cyprien prend dans cette lettre, donnant ses instructions et presque ses ordres avec une sorte d’autorité protectrice (lettre 68). La seconde lettre de Cyprien à Stéphanus est celle qui les sépara.

Un de ses prédécesseurs sur le siège de Carthage, l’évêque Agrippinus, environ quarante ans auparavant, avait fait décider, dans