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intimider les Français ; entraves apportées à notre ravitaillement ; relations avec Samory, qu’on cherchait à attirer sur Kita. Le colonel ajouta :


Je ne veux plus de vous à Mourgoula. Vous allez me suivre à Kita. Ce n’est pas que je veuille vous prendre par trahison. Rentrez à Mourgoula, et, si vous le voulez, défendez-vous. Mais songez que, dans quelques instans, Mourgoula n’existera plus; que le Manding, le Bagnakadougou, le Gadougou, le Bélédougou, le pays de Kita, savent que je suis ici, et que, de quelque côté que vous cherchiez à fuir, vous trouverez un ennemi implacable : on volera vos femmes, vos enfans, vos captifs et toutes vos richesses.


Il laissait libres les autres notables de rester dans Mourgoula ; mais ils devaient être soumis au commandant de Kita, ne plus percevoir d’impôt sur les caravanes, ne plus exercer d’autorité sur les pays voisins. On ne nous obligea pas à faire un siège dont l’issue n’était douteuse pour personne. Quelques instans après, Suleyman revint avec l’almamy. Celui-ci salua le colonel et lui dit, montrant un arc et des flèches, qui étaient toute sa fortune au temps où il était un captif d’El-Hadji : « C’est avec cela que je suis venu ici, c’est avec cela que je pars. » On permit aux bannis de rentrer chez eux pour prendre leurs femmes, leurs enfans, leurs serviteurs, leurs richesses : le colonel s’était engagé à les faire escorter jusqu’à Nioro, dans la partie ouest des états d’Ahmadou. Il était temps que l’almamy rentrât chez lui : sa domination était si détestée que les habitans mettaient déjà sa maison au pillage. L’escorte promise ne lui était pas inutile. Il avoua même qu’il était heureux de quitter les « impies qui habitaient Mourgoula. » Ces impies, c’étaient les notables. Eux-mêmes ne se trouvèrent pas trop en sûreté dans la ville. Ils avaient d’abord accepté de rester ; puis, devant les manifestations hostiles de la plèbe, ils se décidèrent à émigrer en masse et se dispersèrent dans les pays soumis à Ahmadou. Ainsi, sans avoir tiré un coup de fusil, une redoutable forteresse était entre nos mains, un foyer d’intrigues étouffé, le Birgo tout entier soumis à notre domination. La chute de Mourgoula, c’était la fin de l’islamisme dans la vallée du Bakhoï, le démantèlement du fameux quadrilatère et la ruine des prétentions d’Ahmadou sur ces régions.

On marcha ensuite dans la direction du Niger, en suivant la route même qu’avait suivie trois ans auparavant la mission Gallieni. Ceux qui avaient insulté, attaqué, pillé cette mission étaient dans le tremblement. Le village le plus coupable, ce n’était pas Dio, bien que le guet-apens se fût produit non loin de là. Beaucoup de villages