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ou mulets, qui étaient chargés des objets nécessaires à la mission et de présens pour Ahmadou. Les 30 soldats étaient armés de chassepots, les laptots et âniers de fusils à deux coups ; deux pierriers et deux espingoles formaient toute l’artillerie ; enfin, par une sage précaution, le capitaine avait caché au fond des cantines 3,000 ou 4,000 cartouches.

La mission traversa sans incident Médine, Bafoulabé, Badumbé, qui fut noté comme un emplacement excellent pour un poste fortifié, et arriva au pays de Kita. Kita est non pas un village, mais tout un pays, toute une collection de villages bambaras réunis autour d’une grande montagne rocheuse, qui s’élève brusquement dans la plaine. Cette montagne est habitée par des bandes de singes qui ravagent les récoltes, mais auxquels les indigènes, on ne sait sous l’empire de quelle idée superstitieuse, pardonnent tous leurs méfaits. Le principal de ces villages était Makandiambougou, dont le chef, Tokonta, avait déjà recherché notre alliance.

Le grand souci de Tokonta, c’était le tata de Goubanko. Il avait autrefois permis à des réfugiés du Birgo, échappés aux massacres des Toucouleurs, de fonder un village; mais ces gens s’étaient établis en très grand nombre, avaient fait de ce village un tata très fort et s’étaient révélés comme d’incommodes voisins et d’effrontés pillards. Tokonta avait fini par les assiéger et avait échoué piteusement. Depuis lors, cette épine lui était restée dans le pied. Il accueillit bien la mission, espérant trouver en elle un secours contre ses ennemis ; mais il hésitait à signer le traité de protectorat. Sans doute, il détestait Ahmadou ; mais il le redoutait encore plus. Kita est au cœur des pays bambaras, sur lesquels le sultan de Ségou réclame la domination, c’est-à-dire le droit de pillage. A la fin, quand on lui eut fait admirer l’effet de nos chassepots et de nos pierriers et qu’il crut pouvoir être défendu sérieusement, il signa un traité qui reconnaissait notre protectorat sur la confédération de Kita et céda le terrain pour l’édification d’une forteresse. Il aurait voulu qu’on attaquât les gens de Goubanko, mais M. Gallieni se borna à lui ménager un accommodement avec ces dangereux voisins.

On pénétra ensuite dans le Bélédougou, pays bambara, vassal et par conséquent ennemi d’Ahmadou. C’était là que nous devions un jour trouver nos plus fidèles alliés ; pour le moment, le fait que nous allions à Ségou, le soupçon que nous portions des présens, peut-être des armes à Ahmadou, suffisait pour indisposer les populations contre nous. Et puis ce convoi, dont les nègres s’exagéraient les richesses, cette longue file d’ânes et mulets s’étendant sur une ligne de quatre ou cinq cents mètres, si faiblement escorté,