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de Fortunatus est demeurée dans l’isolement et dans l’impuissance.

Une autre lettre à Cornélius (lettre 60) témoigne assez que l’union était entière entre les deux premiers évêques du monde latin. Les pressentimens de Cyprien ne l’avaient pas trompé ; la persécution contre l’église s’était ranimée sous Gallus. Cornélius fut poursuivi et confessa sa foi ; il fut interné à Centumcellæ, comme Cyprien devait l’être plus tard à Curube. Cyprien lui écrit pour le féliciter sur l’honneur de cette confession, qui a donné l’exemple à tout un peuple. Le nom de Novatianus revient encore à sa pensée et sous sa plume, mais cette fois de la manière la plus flatteuse pour Cornélius. Novatianus, dit-il, doit reconnaître où est réellement l’église et le véritable Prêtre de Dieu, lis sont où est la persécution. Le grand Ennemi n’a que faire d’employer ces épreuves pour se soumettre ceux qui sont déjà à lui. Ainsi Novatianus n’avait pas été inquiété par l’autorité romaine, et on le comprend, puisqu’il n’était que le chef d’une minorité qu’il importait moins de réduire. Cependant cette marque pour reconnaître la vraie église n’était pas si sûre, et il pouvait arriver qu’un schismatique attirât sur lui les rigueurs du pouvoir. C’est pourquoi Cyprien a soin d’ajouter (et dans son livre de l’Unité, il a développé cette thèse avec force) que celui-là ne serait pas un confesseur ni un martyr, et que même le sang versé, s’il l’est hors de l’église, ne mérite pas de couronne, et n’est plus honneur, mais châtiment. Voilà jusqu’où s’emportait déjà l’intolérance[1].

Les luttes religieuses n’aboutissaient pas toujours à un schisme ; elles se réduiraient quelquefois à ce que nous appellerions une opposition, et cela arrivait surtout quand le dissentiment était entre deux évêques naturellement indépendans l’un de l’autre. La lettre 66 nous fait assister à un combat de ce genre, combat semblable à ceux que les partis se livrent dans la presse aux temps modernes, et que Cyprien soutient avec la vigueur qu’il porte partout. Nous ne savons pas comment le débat s’engagea, ni à quelle occasion l’évêque Florentins lui avait écrit une lettre que nous n’avons pas, mais où il lui disait, à ce qu’il semble, qu’il ne savait trop s’il devait rester en communion avec lui, d’après tout ce qu’il entendait dire ; il lui demandait des explications, pour lever, disait-il, des scrupules que lui inspirait sa conduite. Il semble même que, remontant aux oppositions que l’ordination de Cyprien avait soulevées autrefois, il ne se tenait pas pour bien assuré qu’il fût légitimement évêque de Carthage.

  1. Novatianus, en effet, paraît avoir été confesseur au moins, sinon martyr, sous Valérien, d’après Socrate, IV, 28.