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comme la banlieue de Saint-Louis ne nous obéissait : ni le Oualo, ni le Cayor, ni le Baol, ni le Sine, ni le Saloum, le long de la côte; ni le Dimar, ni le Fouta-Toro, ni le Damga, ni le Guoy, le long du fleuve ; ni le Guidimarka et le Boundou, qui flanquent, sur la rive droite et sur la rive gauche, le poste de Bakel ; à plus forte raison ni le Djolof, ni le Fouta, qui sont plus avant dans les terres. Tous ces pays, convertis depuis longtemps à l’islamisme et qu’habitent les musulmans les plus fanatiques de la région, nous haïssaient et nous méprisaient; en proie à une sorte d’anarchie féodale, aux guerres de village à village qui n’avaient pour objet que l’enlèvement des esclaves, dévastés par toutes les pratiques de la traite, ils produisaient peu et n’avaient aucune importance pour notre commerce.

Sur la rive droite du Sénégal dominaient les Maures. Ils étaient et ils sont encore divisés en trois grandes peuplades : les Trarzas, les Braknas et les Douaïchs. Resserrés entre le fleuve et le désert, ils considéraient les pays fertiles de la rive gauche comme un territoire de chasse, où le gibier, c’était l’homme. Chaque année, leurs bandes dévastatrices se répandaient sur les pays ouolofs et peuhls ; grâce à leur cavalerie, à une certaine supériorité d’armement, ils inspiraient une terreur folle aux indigènes. Tantôt ils saccageaient les villages, exterminant la population mâle, emmenant les femmes et les enfans; tantôt ils laissaient aux roitelets du pays le soin de les pourvoir de chair humaine. Nous faisions avec eux un certain commerce ; nos trafiquans leur achetaient surtout des gommes, produit principal des régions du nord; mais ce commerce était pour nous l’occasion de vexations et d’avanies sans nombre. Les chefs maures fixaient eux-mêmes les escales, points du fleuve sur lesquels devaient se faire les échanges : ils levaient sur tous les marchés des coutumes, redevances très lourdes, qu’ils fixaient arbitrairement et percevaient de même. Ces tributs que leur payaient nos négocians ne nous mettaient pas à l’abri de leur hostilité : à tout moment, les dépôts de marchandises, les chalands qui naviguaient sur le fleuve étaient pillés. Rien n’égalait leur insolence : Mohammed-el-Habib, roi des Trarzas, n’avait-il pas VII, en 1850, une députation d’habitans et de négocians de Saint-Louis lui apporter une humble pétition pour lui demander la paix? Aussi son propos le plus habituel était qu’à la première rupture avec les blancs, il viendrait faire son salam dans l’église de Saint-Louis. Ces rodomontades étaient prises au sérieux par toutes les tribus : pas un indigène ne nous croyait en état de résister aux Maures, et ils avaient des partisans jusque dans la population noire de notre chef-lieu. Les roitelets nègres étaient à peine moins insolens. Jamais les Hollandais dans l’ancien Japon, les négocians anglais et français, lors de