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la reprise de la vie nationale. Et, dans cet exode, il se montrait administrateur aussi habile, aussi soigneux, aussi probe que son devancier ; avec beaucoup d’énergie et de ténacité, un peu de rudesse et de misanthropie, il arrivait au même résultat que La Grange avec sa souplesse, sa courtoisie et son optimisme : sauver la maison. Comme La Grange, enfin, il s’est fait un titre d’honneur par son journal, presque sans y penser; et, plus tard, lorsque notre temps sera devenu à son tour le passé lointain de la comédie, on consultera son carnet de voyage comme on consulte le livre de raison laissé par La Grange.

Un autre tient une partie des rôles de La Grange, est, comme lui, un parfait amoureux et, comme lui, prolonge au-delà du vraisemblable la souplesse de son talent, la fraîcheur de sa voix et l’apparente jeunesse de sa personne. Il est, lui aussi, de relations aimables, attentif, mesuré dans ses paroles et dans ses actes; s’il aime la renommée, il ne recherche pas le bruit et ne fait pas mettre dans la gazette le compte rendu de ses aventures, s’il en a, de ses voyages, car il ne voyage pas, de la façon dont il mange, se meuble, s’habille et s’entretient avec ses amis ; le théâtre quitté, il vit d’une calme existence de bourgeois. Il est soigneux de sa personne, comme devait l’être La Grange; il se surveille et s’économise ; il a une hygiène raisonnée qu’il suit avec rigueur et qui profite à la santé de son talent comme à celle de sa personne. Enfin, lui aussi a le goût de l’écriture et tient un journal où il note, paraît-il, les rôles qu’il joue, leur succès, peut-être le sien propre, ce qui le distinguerait de La Grange, bref tous les faits de la vie du théâtre qui ont rapport avec son emploi. Si donc La Grange revenait au monde, il pourrait en toute sécurité entrer à sa chère Comédie-Française ; peut-être ferait-il observer, avec sa discrétion habituelle, que, de son temps, on jouait un peu plus le répertoire, mais il trouverait que, somme toute, on y continue les bonnes traditions, car ces traditions sont les siennes.


GUSTAVE LARROUMET.