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de Molière qu’elle possède et qu’elle doit à une libéralité récente de M. Alexandre Dumas. Cette signature se trouve au bas d’un contrat passé entre le comédien Monchaingre, Molière et Rollet, — le procureur Rollet dont par le Boileau, — à l’avantage du jeune Baron. Unique et précieux assemblage de noms et de choses : liberté de mœurs du tripot comique, majesté particulière d’une institution d’état qui est un théâtre, Molière pris sur le fait dans l’exercice de sa bienfaisance habituelle, La Grange qui continue son œuvre, Baron qui prolongera si longtemps la tradition de Molière et de La Grange, le souvenir de Boileau personnifié par un des noms qu’il a voués à un ridicule éternel : tout cela dans deux petits cadres. N’est-ce pas le cas, ou jamais, de reprendre une expression chère au grand siècle et de dire que c’est là un spectacle « fait à souhait pour le plaisir des yeux ? »


VI.

La troupe du Palais-Royal sauvée, la Comédie-Française fondée par la réunion de 1680, La Grange n’avait plus qu’un dernier devoir à remplir envers la mémoire de Molière, c’était de publier une édition définitive des œuvres de son maître. Personne autant que lui n’était désigné pour cette tâche. Il avait joué sous la direction et aux côtés de l’auteur ; il connaissait, avec la tradition scénique de ces chefs-d’œuvre, le travail journalier par lequel ils étaient arrivés à leur forme définitive. Par surcroit, à cette expérience de comédien, il joignait le goût d’un lettré; il avait des livres, en effet, assez bien choisis et en assez grand nombre pour qu’il en ait été fait à sa mort une vente qui attira l’attention des bibliophiles du temps. Et ces livres n’étaient pas objet de luxe ou de vanité; leur propriétaire les lisait et les annotait, à preuve un Corneille sur lequel il avait écrit de sa main une pensée de Saint-Évremond. C’est donc La Grange qu’Armande désigna lorsque, en 1682, à la sollicitation de trois libraires en renom, Thierry, Trabouillet et l’inévitable Barbin, elle résolut de publier les œuvres complètes de son mari.

Molière avait conçu lui-même le dessein d’une édition de ce genre. Le 18 mai 1671, il avait pris, pour l’ensemble de ses pièces, un privilège où nous lisons ceci : « Plusieurs desdites pièces ont été réimprimées en vertu de lettres obtenues par surprise en notre grande chancellerie, sans en avoir consentement, dans lesquelles réimpressions il s’est fait quantité de fautes qui blessent la réputation de l’auteur; ce qui l’a obligé de revoir et corriger tous ses ouvrages pour les donner au public dans leur dernière perfection. »