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deux des partisans les pi us chauds de son adversaire soient allés ramasser, dans un misérable petit coin de l’Italie, trois évêques bien simples, qu’on réussit à attirer à Rome, sous prétexte d’un concile. Là, des gens qui ne valaient pas mieux que lui les enferment, les mettent à table, et quand ils sont bien gorgés de viande et de vin, cela à la dixième heure (quatre heures après-midi, c’est-à-dire avant l’heure ordinaire du souper), on les force à lui imposer les mains et à le faire évêque. On a très mal conclu de ce récit que trois évêques seulement avaient ordonné Novatianus. Ces trois évêques de campagne sont seulement un appoint mie les partisans de Novatianus qui étaient dans Rome, et qui avaient préparé l’élection, crurent bien faire d’aller chercher au dehors, pour donner à cette désignation quelque chose de plus spontané et qui sentît moins le parti. Si Novatianus n’avait eu que trois évêques pour l’ordonner, Cyprien n’aurait pas manqué, dans la lettre que j’ai citée plus haut, d’opposer ce misérable chiffre aux seize évêques qui avaient ordonné Cornélius. Mais le récit d’Eusèbe demeure comme un témoignage curieux du ton dont les chrétiens d’un paru parlaient de l’autre.

Cyprien n’oublie pas de dire que tous ces gens-là sont des misérables ; c’est comme une obligation qu’il remplit, et un lieu-commun qu’il ne peut pas oublier, mais il ne s’y arrête pas, et s’en acquitte par la figure de prétention : « Je ne parle pas des vols qu’ils ont faits à l’église, de leurs machinations, de leurs libertinages, de leurs méfaits de toute espèce. » Le grief sérieux, c’est leur scandaleuse indulgence à l’égard des lapsi, et cela quand la persécution durait encore ; c’est le reproche qu’il développe avec d’autant plus de force que l’évêque de Rome, inquiété par les purs comme n’étant pas lui-même assez sévère, ne pouvait manquer de se scandaliser plus que personne de ceux qui outraient le relâchement.

Ce qui indigne le plus Cyprien est que ses adversaires se soient adressés à Rome pour être relevés de la condamnation qu’il a portée contre eux, comme s’ils faisaient appel à un juge supérieur. Il ne tolère pas un tel recours, mais il ne peut s’en défendre qu’avec bien des ménagemens. Il parle de Rome dans les termes qui peuvent le plus flatter Cornélius. Ces schismatiques, ces profanes ont osé aller « à la chaire de Pierre, à l’église première, d’où est sortie l’unité du sacerdoce : ils n’ont pas songé que l’église de Rome est celle dont la prédication de l’Apôtre a célébré la foi, et près de qui la trahison ne saurait trouver d’accès. »

Mais aussitôt après ces hommages, il se hâte d’ajouter que c’est à Carthage qu’ils doivent se défendre ; que le procès doit être