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sèment la discorde dans la troupe, et, chose plus grave, tentent de mettre la main sur le bureau de la recette. Heureusement ils le perdent, et sortent de la société. Reste la rivalité de l’Hôtel de Bourgogne. On la paralyse par un coup de maître en lui prenant sa grande tragédienne, Mlle Champmeslé. La mort de La Thorillière achève de désorganiser les grands comédiens, et le roi, considérant leur état précaire, décide, par lettre de cachet du 21 octobre 1680, qu’ils feront leur jonction avec l’Hôtel Guénégaud. Enfin, le but visé par La Grange et Armande est atteint ; l’ancienne troupe de Molière reste seule debout, fortifiée par la ruine des deux autres théâtres parisiens ; la Comédie-Française est fondée. Ici encore, dans les procès engagés, la réunion avec l’Hôtel, la formation laborieuse de la troupe définitive, La Grange avait tout conduit.

Son dernier grand effort eut lieu en 1687, lorsque, sur un ordre du lieutenant de police La Reynie, la troupe fut obligée d’abandonner la rue Guénégaud. La correspondance de Racine et de Boileau nous apprend les causes de cette expulsion et nous tient au courant des vicissitudes par lesquelles passèrent les pauvres comédiens. Le 8 août, Racine écrivait à Boileau, qui soignait tristement à Bourbonne sa gorge malade :


La nouvelle qui fait ici le plus de bruit, c’est l’embarras des comédiens, qui sont obligés de déloger de la rue Guénégaud, à cause que Messieurs de Sorbonne, en acceptant le collège des Quatre-Nations, ont demandé, pour première condition, qu’on les éloignât de ce collège. Ils ont déjà marchandé des places dans cinq ou six endroits ; mais, partout où ils vont, c’est merveille d’entendre comme les curés crient. Le curé de Saint-Germain-de-l’Auxerrois a déjà obtenu qu’ils ne seroient point à l’hôtel de Sourdis, parce que, de leur théâtre, on auroit entendu tout à plein les orgues, et de l’église on auroit entendu parfaitement bien les violens. Enfin, ils en sont à la rue de Savoie, dans la paroisse Saint-André. Le curé a été aussi au Roi lui représenter qu’il n’y a tantôt plus, dans sa paroisse, que des auberges et des coquetiers ; si les comédiens y viennent, que son église sera déserte. Les grands Augustins ont aussi été au Roi, et le père Lembrochons, provincial, a porté la parole. Mais on dit que les comédiens ont dit à Sa Majesté que les mêmes Augustins, qui ne veulent point les avoir pour voisins, sont fort assidus spectateurs de la comédie, et qu’ils ont même voulu vendre à la troupe des maisons qui leur appartiennent, dans la rue d’Anjou, pour y bâtir un théâtre, et que le marché seroit déjà conclu si le lieu eût été plus commode. M. de Louvois a ordonné à M. de La Chapelle de lui envoyer le plan du lieu où ils veulent bâtir dans la rue de Savoie : ainsi on attend ce que M. de Louvois