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plus fine et plus serrée, toujours très lisible. Beaucoup de propreté : on n’y trouve qu’un très petit nombre de taches, dont une large coulée de bougie tombée du flambeau qui éclairait l’écrivain et quatre ou cinq traces de pâtés d’encre, enlevés d’un coup de langue à la façon des écoliers. Presque pas de ratures, de grattages ni de surcharges : lorsque l’auteur n’est pas sûr d’un fait, — nom, titre ou chiffre, — il laisse un blanc et le remplit par la suite, ou bien il complète par une « manchette » inscrite en marge le contenu de la page même. Ce qui achève de lui donner une physionomie tout à fait intime, ce sont les signes allégoriques dont il est rempli. Ces signes, le plus souvent coloriés, sont au nombre de douze, que M. Edouard Thierry définit de cette manière : le losange, le losange avec un support, la croix, l’anneau écartelé, l’anneau mi-parti, l’anneau avec une croix au centre, les deux anneaux concentriques, les perles (ou les zéros) traversées de quatre points rayonnans, le carré long, enfin les zéros barrés d’un trait horizontal. Quant à leur signification, le losange, teinté de noir ou de rouge brique, marque les événemens malheureux : maladies, morts, procès, persécutions, traverses de tout genre, comme, par exemple, l’expulsion du Petit-Bourbon; la croix protège les naissances ; l’anneau, surtout teinté de bleu, constate ou souhaite le bonheur présent ou à venir : visites rémunératrices, mariages, installation au Palais-Royal ; mi-parti noir et bleu, il caractérise les victoires incertaines, comme la première représentation du Tartufe ; les perles radiées accompagnent les succès francs et représentent peut-être les chandelles de la rampe, l’illumination du succès définitif. Il s’en faut, cependant, que ces significations soient très nettes et toujours constantes ; avec le temps, La Grange les modifie ; parfois même il semble ne pas s’y reconnaître très bien lui-même et prendre les unes pour les autres. Tels qu’ils sont, ces signes contribuent à marquer d’une physionomie originale et le registre et son auteur. La Grange tient son registre comme d’autres collectionnent, tournent, peignent ou pêchent à la ligne, et, chez lui comme chez les autres, ce goût est l’indice d’une nature honnête et parfaitement équilibrée ; au milieu des tracas et des complications de la vie, ces êtres privilégiés ont trouvé, avec une diversion salutaire, un délassement certain, un coin de poésie. Mais quel contraste, pour l’homme qui nous occupe, entre ce passe-temps et sa profession, les préoccupations fiévreuses qui la remplissent d’ordinaire et les idées qu’elle éveille. La représentation finie, Mlles de Brie et du Parc vont à leurs amours, Molière à ses travaux et à ses souffrances, Joseph Béjart et de Brie à leurs querelles, Brécourt à sa bouteille, Baron à ses bonnes fortunes. La Grange, qui vient de berner Arnolphe et de conquérir Agnès, de