par une vérité neuve. Non-seulement la pensée de Diderot n’y est pas toujours claire, mais elle est, en plusieurs passages, franchement inintelligible ; avec un faux air de dialectique serrée, le fil du raisonnement casse plusieurs fois. On y trouve assurément, comme toujours chez Diderot, force vérités de détail, de fines remarques, des anecdotes curieuses, des passages éloquens, d’autres d’une ironie mordante; on y trouve aussi le hasard de pensée et d’expression non moins commun chez Diderot, du fatras, enfin une intrépidité de bonne opinion attestée par l’éloge convaincu et trois ou quatre fois repris du Père de famille. Le tout pour établir les trois propositions suivantes : « C’est l’extrême sensibilité qui fait les acteurs médiocres ; c’est la sensibilité médiocre qui fait la multitude des mauvais acteurs; et c’est le manque absolu de sensibilité qui prépare les acteurs sublimes. » Il n’y a qu’à feuilleter la Galerie du Théâtre-Français et les Anecdotes dramatiques pour constater la fausseté de ces trois prétendus axiomes. La sensibilité au théâtre se concilie aussi bien avec le génie qu’avec la médiocrité. Tel acteur excellent n’éprouvera aucune émotion et se moquera de celle qu’il excite, tel autre ne parviendra jamais à surmonter l’émotion chaque fois renouvelée que lui cause un rôle pathétique. L’étude du talent et du caractère de La Grange fournirait des preuves nouvelles contre le fameux paradoxe. La Grange avait beaucoup de sensibilité : on en aura bientôt la preuve. Mais cette sensibilité ne l’empêchait pas de faire sortir de ses rôles leur plein effet; il en était assez maître pour la gouverner en tout et toujours. D’autre part, aussi bien que le paradoxe de Diderot, il dément cette autre erreur, accréditée surtout par un des drames les plus romantiques d’Alexandre Dumas père, Kean, ou Désordre et Génie, qu’aux rôles de feu il faut des âmes semblables à ces rôles, que, des passions qu’il traduit, l’acteur doit connaître par expérience le plus grand nombre possible, surtout l’amour, enfin qu’il a le droit d’accumuler des expériences dont l’art profitera. On accorde, tout au plus, que pour jouer les Atrides, Néron et Macbeth, il n’est pas indispensable de pratiquer l’inceste, le parricide et l’assassinat.
Et d’abord, ce charmant amoureux, cet orateur plein de ressources, cet homme de résolution et de courage, était en même temps un homme d’intérieur et de famille, réglé dans ses mœurs et dans sa conduite, un comptable épris des chiffres, des affaires en ordre et des écritures bien tenues. On sait combien de jeunes premiers, à toutes les époques de notre histoire dramatique, se sont fait gloire de leurs conquêtes, même après que l’âge semblait les ranger parmi les invalides de l’amour. Il suffira de rappeler un camarade de La Grange, ce Baron, type accompli du bellâtre, du fat et de