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peu pour qu’il y ait dommage porté à l’exploitation principale. Enfin, ce qui a aussi peu changé que les garanties requises du métayer, ce sont les devoirs et les droits du propriétaire. Quand a-t-il été plus vrai de dire avec le gentilhomme agronome qui a écrit le Théâtre de l’agriculture : « N’entrerez en pique à peu d’occasions, mais supporterez doucement ses petites imperfections, toutesfois avec un jusques où ; garderez vostre authorité... Compterez souvent avec luy de peur de mescompte. Ne laissez courir sur luy terme sur terme, ni aucune aultre chose en laquelle il vous soit tenu, pour petite qu’elle soit. » Cela paraît un peu rigoureux pour le temps présent, mais il se hâte d’ajouter : « Comme par le contraire n’exigerez de luy, outre son deu, rien qui luy préjudicie. Luy monstrerez au reste l’amitié que luy portez, louant son industrie, sa diligence, et vous resjouissant de son profit, treuvant bon qu’il gagne honnestement avec vous pour l’affectionner tousiours mieux à vostre service. Ne changerez de fermier ne de métayer, se le treuvez passable, que le plus rarement que pourrez... Et quel que soit vostre fermier ou vostre métayer, n’abandonnez tellement vostre terre, qu’en toutes saisons ne la visitiez (le plus souvent estant le meilleur) pour remédier à temps aux détracs survenans[1]. »

Ce qui doit achever de disparaître, c’est tout ce qui constituerait pour le métayer une humiliation ou une tyrannie, ou même en aurait l’apparence. On trouve encore des baux, rédigés il y a une trentaine d’années, qui contiennent des clauses telles que les suivantes : « Le preneur laissera le bailleur prélever, avant tout partage, la onzième partie des gros grains. — Le preneur sera chargé de fournir au bailleur, pendant le mois de mars, trois journées de travail pendant lesquelles il recevra en échange sa nourriture seulement. — Quand le bailleur sera au domaine seul ou en compagnie, les preneurs feront la cuisine et lui serviront de domestiques. — Ils devront loger, nourrir, héberger et soigner, pendant leur séjour au domaine, le cheval du bailleur et ceux des personnes qui l’accompagneront. — Le bailleur se réserve, lui et les siens, la faculté de chasser avec chiens dans les sarrasins et les prairies. » Ces clauses, dont plusieurs sont quelque peu offensantes, ou qui aujourd’hui surtout ne manqueraient pas de paraître telles, ont fait leur temps. Peut-être, dans quelques contrées, les propriétaires ont-ils conservé des habitudes de hauteur qu’ils ne soupçonnent pas eux-mêmes, mais que l’étranger remarque, et dont l’effet sur le métayer, devenu plus susceptible, est plus fâcheux

  1. Théâtre d’agriculture, p. 61-62, édition 1700.