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patronne selon la chair, c’est-à-dire la maîtresse dont il était l’affranchi, a détourné de grosses sommes que lui confiait son église[1]. Cyprien accepte ces imputations et, à son tour, s’étendant sur Novatus, qui était de l’église d’Afrique et qui parait avoir eu un premier rôle dans le parti de Novatianus, il accumule contre lui des griefs qui satisfaisaient sa rancune propre ; car c’était Novatus qui avait donné à Félicissime, dans l’église de Carthage, la situation qui avait permis à celui-ci d’y faire un schisme. Il en avait fait un diacre « sans mon congé, dit Cyprien, et à mon insu. » Et associant ses ressentimens à ceux de Cornélius : « Il n’est pas étonnant, dit-il, qu’après cela il soit allé à Rome pour y troubler aussi ton église. Et comme la grandeur de Rome veut qu’elle l’emporte sur Carthage, il a osé là davantage, et ayant fait un diacre aussi, il a fait là-bas un évêque. » Mais cet homme de troubles est un homme affreux : il a dépouillé les veuves, les orphelins, l’église même. Il a laissé son père mourir de faim dans la rue et il ne l’a pas même fait enterrer ; il a donné à sa femme des coups de pied dans le ventre et a tué l’enfant dont elle était grosse[2]. Remarquons que l’homme dont Cyprien parle ainsi était un ancien, c’est-à-dire un des premiers personnages de son église.

Maintenant, comment les hommes de Novatianus, de leur côté, parlaient-ils des adhérens de Cornélius ? Très probablement de la même manière ; seulement nous n’avons pas leurs écrits. Mais nous lisons dans Cyprien lui-même, en termes généraux, que ses adversaires d’Afrique répandaient contre lui « des imputations infâmes, abominables, à faire horreur même à des gentils[3]. » Et l’on sait que, dans ce livre des Philosophies, découvert par M. Miller, l’évêque de Rome Calliste ou Calixte, celui que l’église appelle aujourd’hui le pape saint Calixte, est représenté aussi comme un intrigant.

Il est certain que Novatianus avait des partisans respectables, et c’est ce dont témoigne une lettre de Cyprien à un de ses collègues d’Afrique, l’évêque Antonianus, qui d’abord avait reconnu comme lui Cornélius, mais il avait reçu depuis une lettre de Novatianus qui le faisait hésiter. L’étendue seule de la lettre de Cyprien, qui a plus de quinze pages, montre à la fois qu’Antonianus avait de l’autorité et qu’il justifiait ses hésitations par des raisons sérieuses. On voit tout d’abord qu’Antonianus était séduit par la sévérité de

  1. Cet argent était destiné à la subsistance des veuves et des orphelins.
  2. C’est la même brutalité par laquelle on raconte que Néron tua Poppée, grosse aussi alors.
  3. Tam infanda, tam turpia, tam etiam gentilibus execranda.